Bac à sable BB - Bernard B


Première tentative de synthèse sur les tentatives antérieures de faire de la politique autrement (B Blondin et P Viveret)

  • Il s’agit ici de déterminer et regrouper à partir de chacune des contributions les raisons des échecs de ces “politiques autrement”, d’essayer également de saisir les aspects positifs de ces tentatives.
Cette tentative de synthèse, comme son nom l’indique se veut une énumération des retours d’expériences des contributeurs qui quelquefois se confondent, elle servira de base à une analyse plus approfondie en vue de ne pas réitérer les mêmes erreurs et construire un modèle de “politique autrement” en capacité de fonctionner.
  • Il est à noter à ce stade que nous n’avons recueilli pour l’instant que des réponses individuelles d’acteurs fortement impliqués dans ces initiatives mais qui ne représentent pas l’ensemble des structures au sein desquelles ils ont participé.
Nous espérons que les dites structures à l’origine des tentatives de “politique autrement” pourront se réunir, débattre et répondre au questionnaire avec leurs membres respectifs.
Pour les réponses aux questions de contexte, d’historique, le lecteur se référera aux contributions, la synthèse est jugée davantage opportune sur les 6 dernières questions rappelées en page 7 de ce document.
Pour une lecture plus aisée, la synthèse est construite à partir des réponses à ces questions, elles-mêmes regroupées en deux items.
  • Aux questions : Bilan , points positifs et négatifs, situation de l’initiative par rapport à d’autres et choix du terme “politique autrement”
Puisque aucune de ces initiatives de politique autrement n’est arrivée à terme, nous serions tentés d’en déduire que le bilan est globalement négatif.
Cela serait oublier cependant qu’il reste dans les esprits toujours quelque chose d’une démarche qui se veut à fortiori rassembleuse et même si chacune des initiatives n’a pas pu véritablement tirer les leçons des échecs des précédentes, le travail réalisé et les effets sont restés dans les mémoires. Quelque part, si la NUPES a pu naître, c’est peut-être aussi parce que la tentative de la Primaire Populaire a montré la voie, et c’est là un point positif majeur.
Il ressort également que ces initiatives ont permis à des gens différents de se rencontrer, de discuter autrement que dans le cadre d’une structure définie tel un parti politique, elles ont permis à des citoyens lambda de se réunir, elles ont été peu ou prou à chaque fois le début d’une mobilisation, des personnes bénévoles ont pu se former à ces démarches de rassemblement, elles participent au renouvellement des pratiques sociales, intellectuelles et politiques et des conceptions de la démocratie.
La situation de chaque initiative par rapport aux autres, malgré les similitudes ne serait-ce que dans l’objectif est forcément différente dans le temps mais aussi au niveau des moyens engagés et du niveau de mobilisation. Lorsqu’elles étaient concomitantes, le réflexe de rassemblement derrière et non avec a souvent prévalu, il serait intéressant de savoir si les initiateurs d’une démarche se retrouvent et initient les suivantes.

Le choix du terme politique autrement est approuvé en majorité, pour une minorité il est trop vague pour donner une signification à ce qu’il est envisagé de construire.

Les points négatifs sont traités au niveau de la question suivante, ils sont les raisons pour lesquelles ces tentatives n’ont pas fonctionnées.

· Aux questions : Pourquoi ce type de tentatives a du mal à réussir selon vous ? Pouvez-vous énoncer quelques hypothèses concernant l'avenir à partir de ce premier bilan ?
  • Il ressort de l’analyse des réponses le constat d’une inefficacité chronique d’une démocratie radicalement horizontale si un petit groupe de personne n’est pas présent pour s’en occuper en permanence.
Il ressort également que le manque de financement, ne pas partir beaucoup plus tôt, ne pas prévoir plus de moments démocratiques rassemblant l’ensemble, et le manque de professionnels à l’animation sont des raisons à l’échec, la co-construction d’un projet avec les citoyens ne pouvant pas s’improviser
Beaucoup de questions se sont posées, y répondre devrait permettre de donner plus de chances de réussite à une initiative future :
Comment valoriser les partis politiques tout en essayant de les déborder ? le verbe déborder est-il approprié ?
Comment mobiliser la jeunesse et les relier aux autres générations ?
Comment valoriser les énergies bénévoles avec en même temps le besoin d’un certain professionnalisme ?
Comment mettre en place une gouvernance efficiente, démocratique en si peu de temps ?
Comment inclure les citoyens se détournant de la chose publique ?
Comment éviter les risques financiers ?
  • Est- il possible de faire de la politique hors les partis ? les raisons de l’échec seraient en raison de notre incapacité à faire de la politique même autrement car nous ne sommes pas des politiques irons-nous jusqu’à dire que ” le problème c’est aussi le peuple “?
A ces raisons s'additionnent également d’autres qui relèvent davantage de la psychologie ou sociologie des comportements :
Forte opposition des partis traditionnels qui ont tout à perdre à un nouveau mode de gouvernance dans lequel ils perdraient leurs rentes. Ces mêmes partis captent toute l’attention médiatique laissant peu de place aux initiatives naissantes.
Manque de confiance des acteurs en leur capacité à vraiment changer les choses, nous vivons Pour la politique et non De la politique, pour nous la fin ne justifiera jamais les moyens et donc il est plus difficile de nous imposer.
Perte de motivation dans la durée, manque de concrétisation des actions. Refaire le monde en théorie une énième fois, ça peut lasser à force, et donc nécessité d’actions concrètes avec des résultats et cela devra se conjuguer au niveau local.
Guerre de pouvoir, d’audience entre les différents mouvements et associations partageant les mêmes objectifs de politique autrement, dispersion des initiatives et à terme invisibilité avec toujours le risque de retrouver les travers dénoncés.
Sur la question des hypothèses à retenir à partir de ce premier bilan afin que la prochaine initiative de “politique autrement “ soit la bonne, réfléchir et apporter des réponses aux questions soulevées devrait permettre de partir sur de bonnes bases.
Les facteurs ou vecteurs identifiés pour que cela réussisse et qui se retrouvent dans une majorité de contributions sont les suivants :
existence d’une base sociale
un vecteur politique avec la question du leadership dans une logique de service collectif et non de carrière ou d’égo.
présence d’intellectuels mettant leurs compétences au service du projet.
sur la question du vecteur politique :
  • Le second élément (le vecteur politique) s’avère le plus souvent le point aveugle de nombre de tentatives de politique autrement. Il semble important d’ en détailler deux volets importants :

1) la question des moyens trop souvent occultée dans les différentes tentatives évoquées dans la pirogue REX ce qui donne aux partis politiques importants une forme de monopole d’accès au financement public et crée donc un gros désavantage pour des structures issues de la société civile ou pour de petits partis (type Nouvelle Donne, Place Publique, petits partis écolos etc qui se trouvent présent par exemple au démarrage de l’archipel de l’écologie et des solidarités). De ce point de vue les procédures de financement participatif et de mécénat utilisés avec succès par la Primaire populaire sont importants et doivent être préparés suffisamment tôt et avec soin. Cela n’empêche par par ailleurs la nécessité de poursuivre l’action civique en vue de contester ce monopole et de démocratiser le financement de la vie politique

2) la capacité à constituer des équipes et à traiter les points d’arbitrage difficiles sur les questions qui font débat ou sur « les points aveugles » . C’est aussi en fonction de ces critères que l’on pourra préparer des processus d’équipe de type « altergouvernement » (procédure qui a cruellement fait défaut au sein de la PP malgré de nombreuses propositions) . C’est aussi sur cette base que pourra être choisie les et dans certains cas la personne susceptible de remplir des fonctions de leadership de service : tête de liste ou candidat.e à des fonctions présidentielles ou primo ministérielles. Comme pour la question des moyens la question des personnes reste trop souvent négligée dans nos différentes tentatives.

L’enjeu européen

Si l’on rassemble ces divers éléments en les reliant aux point un et trois et en les plaçant dans le contexte politique des prochaines années cela voudrait dire qu’il faut commencer suffisamment tôt pour que les logiques de concurrence entre partis ou entre personnalités, déterminantes à l’approche d’élections, ne se fasse pas trop sentir. Par exemple par rapport à la prochaine élection européenne de 2024 qui attise déjà ces concurrences il faudrait sans attendre une proposition de type manifeste sur le rapport entre l’enjeu européen et l’enjeu planétaire qui pourrait être organisé autour de l’idée de puissance créatrice alternative à celle de puissance dominatrice. Cela permettrait de dépasser les débats tactiques sur les listes aux européennes (de type Nupes ou listes distinctes ) et fournir une perspective forte sur deux terrains :

- en matière géopolitique l’Europe et des nations comme la France ne peuvent avoir de rôle important à l’échelle planétaire que s’ils font définitivement le deuil de leurs anciennes postures de puissances coloniales ou impériales et montrent qu’il n’y a pas de voie planétaire possible sur la base de la géopolitique classique de puissance. Cette dernière conduit en effet soit à une logique impériale dans le cas d’une superpuissance (cas des USA dans la dernière décennie du 20 eme siècle ou ce que serait par exemple une domination chinoise sur la planète à venir); soit, plus probablement; à un choc guerrier entre ces puissances aspirant à la domination (cf le fameux piège de Thucydide entre puissance montante et puissance déclinante). Seule une nouvelle géopolitique ayant pour point de vue la poursuite de l’aventure humaine (ce qui suppose la pleine prise en compte du défi écologique et de la justice sociale) le permet. C’est donc bien une logique de puissance créatrice aux service des biens communs (écologiques et sociaux) de l’humanité qu’il faut mettre en oeuvre et , sur ce terrain, l’Europe a une mission essentielle puisqu’elle n’a plus les moyens d’être une puissance dominatrice. Cette approche permet également d’affirmer notre solidarité avec l’Ukraine sans être pour autant embarqués dans une logique de bloc occidental sous domination US.

-en matière de nouvelles formes démocratiques cette approche fonde la nécessité d’une république européenne au sens que nous avions travaillé avec Alain C et Thierry S lors des précédentes élections européennes ; approche qui ne peut se satisfaire de l’ etat actuel de l’Union européenne . Elle doit par contre pouvoir en être le moteur. Par ailleurs l’approche en termes de puissance créatrice appelle à un renouvellement profond des règles du jeu, des moeurs et des comportements des acteurs démocratiques . Le fameux modele de domination qui permettait à des mâles dominants d’être les maîtres du jeu politique, d’avoir de forts gains d’argent, d’imposer une domination sexuelle et de poursuivre des politiques économiques prédatrices de la nature est , on le voit, de plus en plus insoutenable. A cet égard l’exigence écologique, l’exigence féministe, l’exigence de renouveau démocratique (limitations cumuls, lutte contre les conflits d’intérêts etc) vont dans le même sens et rendent de plus en plus difficiles les logiques et les comportements de type "baron noir".

Archipel de l’Écologie et des Solidarités
Archipel “Osons les Jours Heureux”

Pirogue REX : Retour d’EXpériences de “politique
  • Rentrer dans les détails techniques ne nous rend pas crédible mais inaudible,
* Il faut trouver les formules percutantes, juste politiquement, qui désignent clairement des adversaires, montrent un chemin et mobilisent les énergies.
  • Par exemple le « fâchés, pas fachos » de Mélenchon est très opérationnel, il permet de s’adresser à un électorat à conquérir et en faisant la distinction avec le projet et l’encadrement qui est facho et le restera.
*Incarner la radicalité, c’est-à-dire prendre les problèmes à la racine, ni réformisme mou ni révolutionnarisme proclamatoire. Il est quand même étonnant que, pour la société et les medias Yannick soit apparu comme compatible avec le système en place et Sandrine comme la révolutionnaire de service. J’ai du respect et des désaccords avec Sandrine mais son discours impacte, en adhésion ou en rejet, alors que le discours de Yannick glisse. De même un Poutou ou une Arlette Laguiller accrochent positivement, y compris des gens à 100 lieues de la révolution prolétarienne mondiale ! Quand vous regardez la composition des groupes locaux de LFI et les CV de beaucoup de leurs candidats (ce que beaucoup d’entre vous on pu faire j’espère en faisant les campagnes NUPES même où ce n’était pas des candidats EELV) et le « parlement » de l’union populaire (l’ancienne présidente d’ATTAC ,des économistes, Pierre Khalfa de la fondation Copernic, une ancienne responsable des Jeunes Écologistes, des responsables syndicaux,un responsable végétarien…) , donc ce ne sont pas que des gauchistes recyclés, des troskystes lambertistes et quelques allumés…MAIS le vote du 1ier tour des législatives montrent qu’ils ont été « entendus » ou « utilisés » dans de nombreux quartiers populaires et villes de banlieue. Alors que soit nous ne sommes pas présents, soit malgré nos implantations et notre travail local, ça ne se reflète pas à la hauteur dans les votes nationaux.
  • *Enfin il faut réfléchir à l’évolution des formes de vie des différents secteurs de la population votante : le score de LFI c’est une personnalité fortement identifiée par son talent,ses formules et ses excès qui font le buzz mais qui permet 4 mois de porte à porte, ce qui n’est pas le plus visible mais a révélé son efficacité.
  • L’efficacité de LFI c’est aussi la centralisation de l’organisation, ce n’est évidemment pas notre projet ni organisationnel, ni pour la société que nous voulons édifier mais encore faut il proposer une alternative et ne pas continuer à affaiblir notre démocratie interne EFFECTIVE et régresser en un PRG écologiste coordonnant des groupes d’élus et préoccupé surtout à s’auto-reproduire.
Réfléchir aux formes d’intervention spécifiques avec les jeunes et les abstentionnistes. Les concerts, les flash mob, les conférences gesticulées, les actions de solidarité concrète….
Enfin, dans la campagne présidentielle, la direction a fait le choix des ateliers thématiques dans les villes avec un seul grand meeting en fin de campagne qui, pour nos traditions, a fait beaucoup de monde. Désolé de prendre encore l’exemple de le FI mais Mélenchon a explosé la concurrence avec ses hologrammes et ses meetings sensoriels et surtout massifs. Je sais que nous n’avons pas les mêmes ressorts mais nous sommes dans la société du spectacle ET DES RAPPORTS DE FORCE et nous devons travailler cela.
  • En effet il ne suffit pas d’avoir raison pour gagner car entre ce que je crois dire, ce que je dis vraiment, ce qui est entendu et ce que vous voulez entendre, il y a beaucoup de raisons d’avoir de faux débats et des polémiques.
Il nous faudrait aussi considérer les résultats des extrêmes droite dans le bilan global. Comment l'analysons-nous alors que personne n’imaginait cette imposante représentation.
Denis GUENNEAU: “La coopérative écologique créée en nov 2010 dans le contexte du Mouvement EELV”
La coopérative n'a pas réussi à rassembler un grand nombre de militants écologistes, ni d'organisations, partageant les valeurs de l'écologie écrites dans la charte des verts mondiaux.
Les raisons sont multiples, partagées entre le parti EELV et la coopérative EELV.
Pour le parti, dès 2012 il y a eu un refus à la coopérative EELV d'exploiter les 17 500 adresses mails des coopérateurs de 2011, qui avaient versé 10€ ou 20€ pour pouvoir voter à la primaire des écologistes. Ces 17 500 personnes ont été abandonnées de peur d'une concurrence future entre les adhérents au parti, et les membres de la coopérative plus nombreux que ceux du parti en 2011.
Pour la coopérative, le refus de descendre en septembre 2016 le tarif d'adhésion à 5 € pour pouvoir participer à la primaire des écologistes. Cela aboutit à la création d'un statut de sympathisant pour lequel il est interdit par la loi de les recontacter après la fin de la primaire des écologistes.
La coopérative a expérimenté une autre façon de faire de la politique avec une organisation horizontale, n'empêchant pas une centralisation des décisions opérationnelles par un comité d'animation, sans leader ni porte- parole. La sélection des membres de ce comité d'animation a connu plusieurs tentatives: les présents à l'Agora du Mouvement EELV en 2011, les présents au congrès du Mouvement EELV en 2013, et depuis 2020 où ce sont tous les cotisants du premier trimestre qui le composent sauf refus déclaré pour y participer.
la coopérative a été active sur de nombreuses actions, seule, ou en partenariat avec le parti.
La coopérative porte de belles initiatives dont celle de mettre en lumière et en valeur l’Archipel.
Bernard BLONDIN : “Raison des échecs des politiques autrement, tentative d’explication”
Mon expérience personnelle au sein de mouvements divers et dans la vie tout simplement me conduit à penser que nous ne sommes pas mûrs, pour l’immense majorité d’entre nous, citoyennement parlant. Nous ne sommes pas encore devenus les Citoyens dont Aristote donnait la définition : « capables de gouverner et d’être gouvernés ».
Dès lors nous avons besoin d’un leader charismatique et d’un mode de fonctionnement hiérarchisé.
Il me semble qu’il faut aussi considérer les manières dont se structurent les représentations politiques avec la force des images, des médias, des messages, du professionnalisme de réseaux etc… La sur-représentation et le simplisme semblent fonctionner un temps…la personnalité du sauveur/du héros mystifie une réalité plus sombre dont la plupart souhaite qu’elle change, comme par magie. Les non engagés politiquement (au sens large) tombent donc facilement dans le piège de l’émotion et des apparences.
Maintenant , pour ceux qui militent, réfléchissent à une politique autrement, ceux qui souhaitent la convergence citoyenne et que l’on pourrait donc considérer comme étant des citoyens mieux accomplis que les premiers, capables donc de gouverner et d’être gouvernés et qui en tout cas votent en toute connaissance de cause, pourquoi leurs initiatives n’ont elle pas été menées à terme ?
J’y vois une première liste non exhaustive, et qui sera à compléter au vu des réponses au questionnaire auprès des protagonistes, avec 4 raisons :
Forte opposition des partis traditionnels qui ont tout à perdre à un nouveau mode de gouvernance dans lequel ils perdraient leurs rentes. Ces mêmes partis captent toute l’attention médiatique laissant peu de place aux initiatives naissantes.
Manque de confiance des acteurs en leur capacité à vraiment changer les choses, nous vivons Pour la politique et non De la politique, pour nous la fin ne justifiera jamais les moyens et donc il est plus difficile de nous imposer. Je suis d’accord que la question du carriérisme s’oppose radicalement à la fonction de servir et non se servir…
Perte de motivation dans la durée, manque de concrétisation des actions. Refaire le monde en théorie une nième fois, ça peut lasser à force, et donc nécessité d’actions concrètes avec des résultats et cela devra se conjuguer au niveau local.
Guerre de pouvoir, d’audience entre les différents mouvements et associations partageant les mêmes objectifs de politique autrement , dispersion des initiatives et à terme invisibilité avec toujours le risque de retrouver les travers dénoncés.
Martin RIEUSSEC-FOURNIER : “Retour sur #LesJoursHeureux” (2017)
Vous avez participé à des tentatives dites de "politique autrement" ? Pouvez-vous les rappeler en en situant le contexte ?
Le but était : “Faire gagner les élections présidentielles et législatives en 2017 avec un nouveau programme des jours heureux” via une union des forces citoyennes et des partis, inspirée du CNR en 1944.
Le projet est né à l’automne 2015 avec la création d’une équipe de jeunes fondateurs venant de l’association “Générations cobayes”. J’ai été l’initiateur principal. A la racine du projet, il y a trois idées.
Nous avons besoin d’un récit puissant pour entraîner l’adhésion d’une majorité de citoyens. S’inscrire dans les pas du CNR est fort.
Nous avons besoin d’être tourné vers les solutions et forces de propositions enthousiasmantes sinon le “réel est trop démotivant”. Cf inspiration : vrai projet de loi de la transition énergétique
Notre capacité à mobiliser largement des citoyens fera que les partis écolos et de gauche s’uniront sûr ce qu’ils partagent et gagneront ainsi les élections. De larges mobilisations citoyennes non violentes soutiendront le nouveau gouvernement pour qu’ils mettent en œuvre le projet (Cf retour expérience Front populaire).
Nous sommes dans un contexte où le CTC n’est pas pro-actif pour être une plateforme de plaidoyer fort en 2017 et où la FNH ne veut pas ré-éditer son pacte écologique de 2007. Il y a un espace libre.
Quel bilan en tirez vous ? Points positifs, Points négatifs ou problématiques;
Bilan positif :
car avec pour ainsi dire zéro budget nous avons mobilisé 100 auteurs reconnus dans leur domaine, publié un ouvrage apprécié, coordonné une quarantaine d’organisation et influencé un petit peu le débat public avec la création de 25 mesures basculantes et une traversée à pied de la France générant de nombreux débats dans les villes étapes et des retombées dans la PQR.
Bilan négatif :
car l’équipe fondatrice a eu des tensions internes liées au fait que certains souhaitaient beaucoup plus de participation citoyenne que ce qui était prévu initialement. Au final ces personnes ont quitté le projet fin 2016.
car on était complètement sans forces, budget et temps pour mobiliser en masse des citoyens au printemps 2017. Échec quasi total sur ce point.

Comment situez-vous votre tentative par rapport à d'autres comparables ? quelle était leur spécificité ? Y a t il eu effort de coopération ou risque de concurrence ou de redondance ?

Je ne connais pas assez PCEM, le CTC et le CRIID pour comparer #lesjoursheureux à celles-ci. Les rapports étaient suffisamment bons car ils ont tous été là à Villarceaux 1 en février 2017. On a plutôt été en coopération. Comme notre association avait prévu d’être dissoute en 2017, nous n’étions une menace pour aucune organisation. Cela a joué pour que certaines s’impliquent fortement.

Pourquoi ce type de tentatives a du mal à réussir selon vous ?

On aurait dû se lancer 3 ans avant 2017, avec un budget de 1 million par an et des excellents professionnels en termes d’expérience à tous les postes clés.

Le terme de "politique autrement" vous paraît il adapté ou préférez vous d'autres termes ?
Oui
Pouvez vous énoncer quelques hypothèses concernant l'avenir à partir de ce premier bilan ?

Partir avec un grand budget, plus tôt et faire de très bons recrutements de professionnels.
Ne pas laisser penser à des nouveaux venus que l’on peut changer une stratégie du tout ou tout en cours de route quand on a 18 mois pour réaliser un grand projet. Nous n’étions pas partis pour faire du participatif avec les citoyens. Ça ne peut pas s’improviser ce type de méthode de co-construction avec les citoyens pour faire de la qualité. Et sans qualité, on dessert la philosophie de la démocratie participative. On peut être contre-productif.
Martin RIEUSSEC-FOURNIER : “Retour sur Archipel Osons les jours heureux” (automne 2017 - juin 2018)
Co-fondateur et coordinateur jusqu’en juin 2018.

Vous avez participé à des tentatives dites de "politique autrement" ? Pouvez-vous les rappeler en en situant le contexte ?

C’est la fin du printemps 2017. Les personnes les plus impliqués dans le projet #lesjoursheureux souhaitent continuer avec une forme déjà un peu expérimentée dans le projet Pouvoir citoyen en marche ; l’archipel.

Rappel raison d’être initial Archipel Osons les jours heureux
« Pour bâtir ensemble et vivre dès maintenant des jours heureux, contribuons à relier les acteurs de la transition écologique, sociale et démocratique. Faisons de la diversité et du foisonnement des initiatives une force citoyenne capable de résister au désordre établi, de bousculer et de dépasser un système destructeur grâce à nos propositions et nos actions. »

Quel bilan en tirez vous ? Points positifs, Points négatifs ou problématiques;

Point positif :
Intellectuellement très intéressant l’approche au sujet d’un pouvoir partagé au sein d’une “fédération” et le concept identité racine et identité relation.

Points problématiques (de mémoire) :
Globalement pas d’implication forte en temps et en argent de la majorité des organisations membres.
Pas de plan d’action précis avec des indicateurs de suivi à court, moyen et long terme.
Pas de budget conséquent de départ, ni de modèle économique robuste.
Pas de formation des responsables aux nouvelles formes de gouvernances (sociocratie, holacratie, etc).
Pas de mandats précis demandés aux représentants des organisations
Pour de nouvelles personnes, un côté usine à gaz dans le fonctionnement (lagon, voilier, pirogue, etc) avec une sémantique nouvelle, donc un frein à l’appropriation.
L’arrivée de Macron au pouvoir a eu quatre conséquences majeurs délétères sur des associations sympathisantes de l’archipel et donc sur nos débuts :
baisse des subventions venant des ministères
réforme de la fiscalité des fondations et donc des fonds venant d’elles
fin des contrats aidés et donc manque de forces vives dans beaucoup d’organisations
politiques publiques à l’inverse du plaidoyer d’asso sympathisantes, elles étaient nombreuses “sur le pont”, “rincées”.

Comment situez-vous votre tentative par rapport à d'autres comparables ? quelle était leur spécificité ? Y a t il eu effort de coopération ou risque de concurrence ou de redondance ?

Le projet est officiellement né à Villarceaux 2 à l’automne 2017 et j’en suis parti 6 mois après en juin 2018 car je ne voyais pas assez présentes les conditions d’une réussite et avais besoin de temps de repos. C’est un temps beaucoup trop court pour juger de la qualité des liens avec les partenaires. Ce qui est par contre certain c’est que des financeurs ne comprenaient pas :
la différence avec le (CTC) Collectif pour une transition citoyenne et notre valeur ajoutée
la valeur ajouté à nous financer versus financer directement des “îles"

Pourquoi ce type de tentatives a du mal à réussir selon vous ? (uniquement pour la période 2017 à juin 2018)

Manque de pragmatisme sur les besoins en temps et qualifications par une équipe de professionnels.
Manque de plan d’action précis détaillé à court, moyen, long terme.
Manque de modèle économique solide.
Manque de formation aux nouvelles manières de gouverner (cf Sociocraty for all, université du nous, etc)
Manque de précision sur les modalités et conditions d’entrées et de sorties des organisations membres.

Le terme de "politique autrement" vous paraît-il adapté ou préférez-vous d'autres termes ?
oui

Pouvez-vous énoncer quelques hypothèses concernant l'avenir à partir de ce premier bilan ?
Un projet court/innovant dans le temps peut facilement générer une grande coopération d’acteurs dans la mesure où ça résonne grandement avec leur raison d’être.
Un projet de long terme sera très compliqué à faire vivre avec le concours d’organisations variées car elles sont elles-même souvent très accaparées par leur actions.

Pour lancer un projet de long terme visant à de la coopération, je recommanderai :
avoir une attente modeste sur le temps et l’argent qui peut être investi par les “membres”
créer des moments vraiment enrichissants, conviviaux deux fois par an avec tous les “membres”.
faire confiance à une équipe permanente (qui aura des mandats reconductibles et peut être révoquée au besoin) et bien budgétiser tout le projet avant de se lancer. Et se lancer que s’il est réunit à minima 9 mois à 1 an de financement. Commencer à minima avec 100 000€ de trésorerie (pas du prêt).
Alain CAILLÉ : “Pourquoi avons-nous échoué à faire de « la politique autrement ?”
Version du 20/8/22 avec notes 7
Peut-être – c’est la réponse la plus plausible -, parce qu’il est tout simplement impossible de faire de la politique autrement[1]. On pourrait résumer l’histoire des entreprises diverses dans lesquelles nous nous sommes lancés les uns et les autres et qui font que nous nous retrouvons aujourd’hui dans l’Archipel de l’écologie et des solidarités (ou dans celui de Osons les jours heureux) en disant que nous avons voulu faire de la politique sans en faire, tout en en faisant quand même mais en n’en faisant pas. En d’autres termes, sans jamais franchir le pas de l’adhésion pure et simple à un parti ou à un autre. Selon toute vraisemblance, à la fois parce que leur offre politique, leurs programmes ne nous convenaient pas plus que leur manière d’être, leur mode de fonctionnement. Nous voilà donc en quête d’une autre offre politique et d’un autre mode de fonctionnement.
Mais est-il possible de se substituer aux partis ? Rien n’est moins sûr. L’expérience de la primaire populaire, qui a été le plus loin dans la tentative de faire de la politique sans en faire mais en en faisant quand même, s’est révélée décevante, même si elle a suscité un temps beaucoup d’espoirs. Ou, plutôt, à la mesure de ces espoirs déçus. Sous prétexte d’aboutir à une candidature unique à gauche, elle en a suscité une de plus pour finalement violer les règles de choix qu’elle avait édictées. Grande est donc la tentation de se rallier aux conclusions d’une certaine sociologie, celles par exemple d’un Niklas Luhmann, pour qui nos sociétés sont de plus en plus « perdifférenciées », i.e. éclatées en systèmes fonctionnels de plus en plus indépendants les uns des autres, obéissant chacun à ses propres règles qu’il serait illusoire de prétendre contrebalancer par d’autres règles ou d’autres modalités de fonctionnement.
Pourtant, nous persistons. C’est pourquoi Patrick nous demande de réfléchir à nos expériences passées, aux raisons de leur échec, aux possibilités de réussir enfin, ou, au moins, d’échouer mieux.
Pour ma part, des bateaux alterpolitiques j’en ai connu pas mal :
la création en 1995 (je crois) de ce qui allait devenir l’AECEP (Association européenne pour une citoyenneté et une économie plurielle)[2],
celle vers 2000 de l’Institut Polanyi, qui se proposait de faire renaître l’AECEP sous une autre forme,
les Etats généraux du pouvoir citoyen qui allait devenir Pouvoir citoyen en marche,
le conseil scientifique d’ATTAC que j’ai cessé de fréquenter non par désaccord mais par manque de temps,
le réseau Multiconvergencia de Redes internacionales dans lequel j’ai essayé de faire passer l’idée de créer un Parlement citoyen mondial multiniveaux,
pas mal de petites choses ici et là, et, bien sûr, les convivialistes.
Mais ce qui m’a pris et me prend encore le plus de temps, c’est la Revue du MAUSS qui, à sa manière, fait aussi de la politique autrement. C’est elle, par exemple, qui a lancé la première en France le débat sur le revenu universel, avant la création du RMI. On ne peut pas dire qu’elle ait totalement échoué.
Au risque de paraître ramenard je voudrais d’abord dire deux mots du comment ou du pourquoi de ce qui a réussi. Le MAUSS qui existe depuis quarante ans a désormais une audience internationale, notamment avec la parution en anglais l’an passé du premier numéro de MAUSS International, grâce au soutien de trois de mes amis plus ou moins bilingues[3]. Nous n’avons jamais reçu d’argent d’aucune institution (sauf, comme nombre de revues, de la part du Centre National des Lettres). Nous avons auto-financé grâce à nos ventes et abonnements le secrétariat éditorial et les frais d’impression. Quant au travail de choix, de révision et de coordination des articles, nous l’avons toujours fait à deux ou trois personnes capables de travailler vite et en parfaite confiance.
  • Pour ce qui nous intéresse ici, j’en retire trois leçons :
1°) Si nous avons pu trouver des lecteurs en France et à l’étranger c’est parce que la première question que nous posons (quelle est la part du don dans les activités humaines et quelles leçons politiques est-il possible d’en retirer ?) est suffisamment intéressante et ouvre de multiples perspectives à partir desquelles il est possible d’enrichir la discussion au fil du temps.
2°) Numéro après numéro nous avons eu le sentiment de progresser en nous appuyant sur les acquis de ce qui avait déjà été fait. Autrement dit, il faut savoir capitaliser et avancer.
3°) Une entreprise de ce type ne peut fonctionner que s’il y a au moins une ou deux personnes qui s’en occupent en permanence, qui en connaissent tous les tenants et aboutissants, et qui prennent des initiatives.
Avec pas mal de variantes, la même chose pourrait être dite de l’AECEP[4] et du mouvement des convivialistes. A l’inverse, dans les autres initiatives auxquelles j’ai participé, le souci premier d’une démocratie radicalement horizontaliste ne pouvait que générer une inefficacité chronique. On se réunit une fois par mois ou par trimestre, pour discuter de ce qu’on pourrait faire la prochaine fois. Il y a bien des compte-rendu de séance mais pas de véritable travail de synthèse qui permette vraiment de savoir où on en est. Dès qu’un nouveau venu ou le représentant d’une nouvelle organisation apparaît les propositions plus ou moins niakas qu’il expose viennent d’ajouter à la somme de celles qui ont déjà été formulées. Au bout d’un certain temps on se retrouve avec un catalogue de vœux pieux, le charme du début est rompu, presque plus personne ne vient aux réunions. On crée alors un nouveau réseau avec les mêmes partenaires et de nouveaux. On croit avancer démocratiquement en faisant tout émerger de la « base », chaque proposition doit se voir accorder le même poids que toute autre, et on se retrouve à nouveau avec un catalogue de propositions de mesures dont personne ne sait si elles sont cohérentes entre elles ni comment elles seraient financées ni si elles sont susceptibles de conduire à une victoire électorale. Le réseau de réseaux civiques le plus important à ce jour, le Pacte du Pouvoir de vivre qui réunit 65 organisations de premier plan de la société civique a ainsi accouché de 95 propositions sur lesquelles, de son aveu même, il est impossible de communiquer[5]. Par ailleurs, toutes ces initiatives manquent cruellement de moyens financiers, ce qui rend totalement illusoire l’espoir d’effectuer une percée médiatique quelconque et d’accéder à une visibilité minimale[6].
J’arrête là ce petit bilan dont j’avoue qu’il n’a rien d’encourageant. En quoi, du coup et malgré tout, pourrions-nous trouver de l’espoir ? Dans le fait, sans doute, que nous ne nous connaissons pas trop mal, que nous savons partager la même conscience des périls extrêmes qui nous menacent et que personne parmi nous n’est assoiffé de pouvoir (de pouvoir sur, de domination). Pas assez, même, peut-être.
Mais allons plus loin. Il n’est peut-être pas possible de faire de la politique autrement, mais, en revanche, il est possible de travailler au niveau du politique, i.=.e. au niveau de tout ce qui fait que les membres d‘une communauté politique ont envie d’être ensemble, alliés, plutôt que séparés ou ennemis. Par ailleurs, ou pour le dire autrement, la question de l’organisation, de ses modalités, est importante mais seconde par rapport à celle du projet. La question qui prime toutes les autres est : saurons-nous définir un projet de société suffisamment porteur d’espoir pour qu’il ait une chance de devenir électoralement majoritaire dans les années à venir ?[7] Comment nous mettre en position d’essayer d’y parvenir en mobilisant le maximum d’acteurs mais sans céder à l’illusion que tout jaillira de la base, et que toutes les propositions qui en sortiront s’ajointeront spontanément et harmonieusement. Comme le dit très bien Gus Massiah : « Pour que l’autogestion marche, il faut des autogéreurs[8] ».
Devenons donc les autogéreurs de la société à venir que nous appelons de nos vœux. Et, pour commencer, essayons déjà de la définir à grands traits entre nous en essayant de voir, comme nous y invite Thierry Salomon, si les projets respectifs dont nous sommes les porteurs ou les représentants sont effectivement cohérents entre eux et ce qu’il y manque (beaucoup de choses).
La politique, le rapport aux partis viendra après.


[1] Au passage, « Politique autrement », c’est le nom d’un réseau assez important animé depuis des lustres par Jean-Pierre Le Goff, autrefois vu comme très à gauche (une figure de proue des éditions La Découverte) et aujourd’hui perçu comme très à droite (au moins jusqu’au Figaro).
[2] Dans le cadre de la « Maison Grenelle », avec le soutien de Patrick et de Jacques Robin.
[3] Ayant enfin eu la chance, grâce à l’anthropologue Marshall Sahlins d’avoir un petit livre publié en anglais (Anti-utilitarisme et paradigme du don, pour quoi ?, Le Bord de l’eau), The Gift Paradigm, Chicago University Press) j’ai eu le plaisir d’apprendre il y a quelques mois qu’il avait été retenu comme un des trois livres qui seront discutés en juillet prochain à Melbourne lors du prochain colloque de l’International Sociological Association qui se réunit une fois tous les quatre ans.
[4] Quand la gauche plurielle est arrivée au pouvoir en 1997, sans s’y attendre, elle n’avait aucun programme. Via Jacques Rigaudiat, conseiller social de Jospin, elle s’est inspirée des 4 mesures phares défendues par l’AECEP : 1. Réduction du temps de travail et temps choisi. 2. Revenu universel. 3 Encouragement massif au secteur associatif et à l’ESS. 4. J‘ai oublié…Mais nous défendions l’interdépendance de ces mesures. Prises comme des gadgets séparés et temporaires (et la prime à l’emploi préférée au revenu universel) elles ne pouvaient guère avoir d’efficacité véritable.
[5] Il a été prévu de les réduire à 5 mesures phares, mais ce travail n’a pas été fait. C’est peut-être à nous qu’il incomberait de le faire.
[6] Pour donner une idée : la fondation Terra Nova qui réussit à se faire entendre de temps à autres (pas toujours pour le meilleur,) dispose d’un salarié à plein temps uniquement pour les relations publiques. Avant d’échouer en raison de la contradiction même de son projet de départ, si la primaire populaire a réussi in fine une véritable percée médiatique, c’est parce qu’elle a su mobiliser, outre un très important bénévolat, des ressources financières loin d’être négligeables. Sur tous ces points, cf. les analyses de Martin Rieussec.
[7] En d’autres termes, pour le formuler dans le langage de Gramsci, saurons-nous bâtir un complexe pensée-action susceptible de devenir hégémonique, sur quelles bases et avec qui ? Les jeunes se mobilisent sur la question climatique et environnementale. C’est essentiel, mais ce n’est qu’une partie du problème. S’opposer à tout ce qui pollue, qui épuise les ressources naturelles, qui contribue au réchauffement climatique permet de bien délimiter les contraintes à partir desquelles il nous faudra bâtir un autre type de société, mais ne nous dit rien, positivement, sur le type de société dont il s’agit, ni, d’ailleurs sur les racines profondes du dérèglement environnemental. Le facteur premier aujourd’hui de ce dérèglement est l’hégémonie planétaire du capitalisme rentier et spéculatif, autrement dit du néolibéralisme. C’est l‘ensemble de ceux qui souffrent des dégâts du néolibéralisme qu’il nous faut tenter de réunir sur d’autres bases que celles du repli chauvin, nationaliste et raciste que le néolibéralisme alimente de manière systémique.
[8] Gus est en quelque sorte l’autogéreur du Cedetim qui, à sa manière, est une réussite.
Patrick VIVERET : “Contribution”
Vous avez participé à des tentatives dites de “politique autrement” ? Pouvez-vous les rappeler en en situant le contexte ?
Ma première participation se situe il y a longtemps dans la tentative de ce ce que l’on a appelé à l’époque « le courant autogestionnaire » dans les années 70. Cette tentative fut en quelque sorte matricielle pour moi car marquée par plusieurs caractéristiques que l’on retrouvera en partie ou en totalité dans d’autres tentatives ultérieures qui regroupent la plupart de celles citées dans le document partagé.
Cette tentative était donc marquée par trois caractéristiques :
1) un fort ancrage social avec notamment le rôle majeur d’un syndicat, la CFDT syndicat le plus engagé dans Mai 68 et qui avait lui même tenté une synthèse à travers le socialisme démocratique autogestionnaire entre tradition libertaire du syndicalisme révolutionnaire et celle des courants révolutionnaires et réformistes qui ont marqué l histoire du mouvement ouvrier. Cette « base sociale » était elle même renforcée et irriguée par la participation de ce que l'on a commencé à appeler a l époque de nouveaux mouvements sociaux : mouvement anti nucléaire, mouvement des femmes pour l avortement et la contraception, mouvement étudiant lié a Mai 68, mouvement internationaux pour les droits…
2) un vecteur politique, le PSU, inscrit lui même dans une tradition de renouveau de la gauche et de synthèse de la meilleures part de ses courants historiques : le socialisme démocratique et opposé aux guerres coloniales; le communisme non stalinien, les courants issus du christianisme renouvelé (Mouvement de libération du peuple)
3) une forte présence d’intellectuels mettant leur compétences au service d’un projet de transformation sociale et politique et capable de dépasser leurs propres querelles de chapelle.
Dans ce contexte la question du leadership n'était pas éludée et des personnalités fortes apparaissaient telles Edmond Maire, Pierre Mendes-France ou Michel Rocard mais elles se voulaient inscrites dans une logique de service collectif et non de « carrière » syndicale ou politique.
Je cite ces caractéristiques car dans les autres tentatives auxquelles j’ai pu participer l’un des problèmes fut soit la faiblesse de l’une des trois composantes (sociale, intellectuelle ou politique) soit le déni ou un mauvais traitement de la question du leadership.


Quel bilan en tirez vous ? Points positifs, points négatifs ou problématiques.

Le point positif principal c’est que ces différentes tentatives ont joué un rôle important dans le renouvellement des pratiques sociales, intellectuelles et politiques et des conceptions de la démocratie : de mai 68 à Nuit Debout ou aux Gilets jaunes, de l’autogestion aux conventions citoyennes, du MLF à Me too, des amis de la Terre à Alternatiba, de la lutte conjointe et non distincte hier comme aujourd’hui contre le capitalisme et le totalitarisme de type chinois ou soviétique, tous ces mouvements et tentatives ont créé un humus que les différents partis de gauche et de l’écologie ont dû prendre en compte et ont pu conduire dans certains cas et dans des périodes limitées à leur propre transformation partdtaire. Ce fut le cas pour le PS d’après Epinay adoptant le programme Changer la Vie et les Quinze thèses pour l’autogestion; pour le PC avec son évolution plus démocratique et indépendante de l’URSS, de l’écologie politique avec sa transformation européenne importante et son ouverture à d’autres courants venus de la gauche socialiste tels Génération.s créé par Benoît Hamon.
Pour autant aucune de ces tentatives n’a pu véritablement accoucher d’un renouvellement du politique et de la démocratie à la hauteur des attentes initiales affichées. Et si l’on observe les tentatives les plus récentes celle des Jours heureux en 2017, du collectif Roosevelt et de Nouvelle Donne, de Place Publique, de l’archipel de l’écologie et des solidarités et, la plus importante celle de la Primaire populaire en 2022, aucune n’a réussi à bouleverser in fine les termes de l’offre politique dominante imposée par les candidats et candidates des principaux courants de la gauche et de l’écologie.
Parmi les points problématiques , pour avoir été directement au contact de l’expérience gouvernementale (sous les gouvernements de M Rocard et L Jospin) je dirai que l’une des questions les plus difficiles à traiter, au delà de celle des lobbies, du poids de la haute administration, de la réalité des rapports de force internationaux y compris financiers, est celle du peuple lui même : bien loin de l’idéalisation portée par les courants populistes ce qu’on appelle « peuple » est un ensemble social contradictoire, traversé de pulsions ambivalentes telles, en France, la fascination du chef un temps (De Bonaparte à De Gaulle jusqu’à Macron et Mélenchon la pulsion jupitérienne a des racines réelles) et un comportement que l’analyse transactionnelle pourrait qualifier « d’enfant rebelle » un autre temps . L’une des questions les plus difficiles à traiter est donc à mon avis celle d’aider ce « peuple » à devenir pleinement citoyen et à assumer une logique de responsabilité. Cela suppose un type de leadership particulier que l’on pourrait qualifier d’éducatif et que l’on retrouve par exemple à travers les comportements de personnes telles Nelson Mandela, Vaclav Havel ou, plus récemment , l’actuelle Première ministre de Nouvelle Zélande Jacinda Arden.


Comment situez-vous votre tentative par rapport à d’autres comparables ? quelle était leur spécificité ? Y a t il eu effort de coopération ou risque de concurrence ou de redondance?

La plupart des tentatives que j’ai connues ont malheureusement ignoré les tentatives antérieures pourtant animées de valeurs proches et ont partagé d’ailleurs une même absence de bilan. Les tentatives du côté de l’écologie telles « les etats généraux de l’écologie politique » ou la coopérative écologique n’ont pas, à ma connaissance, réfléchi par exemple aux aspects positifs et négatifs des tentatives proches effectuées du côté socialiste (assises du socialisme, période autogestionnaire du PS, big bang initié par M Rocard quand il fut premier secrétaire du PS) ou du côté des courants de la gauche plus radicale ("Votez y"; primaire de la gauche radicale en 2007; tentative du Front de gauche…). Quant à la tentative de création d’un comité national d’éthique au sein d’EELV (auquel j’avais accepté de participer avec Olivier Abel et Sandra Laugier parmi les non encartés) aucune analyse n’a été faite des raisons qui l’ont conduit à cesser ses travaux dès lors que ses alertes (par exemple concernant le comportement de JV Placé) n’étaient même pas portés à la connaissance des adhérents du parti écologiste. Plus récemment je vois dans l’appel initié par Marine Tonnelier une proposition d’états généraux de l’écologie politique qui ne s’accompagne pas d’un bilan de la précédente tentative (est ce parce que son animateur principal fut Denis Baupin ?) ni de celle des écolos belges qui en avaient constitué la matrice. De même Place publique s’est créée en voulant transformer la gauche et l’écologie grâce à un renouvellement issu de la société civile mais n’a pas réellement pris en compte le bilan d’une tentative très proche initiée quelques années auparavant par Nouvelle Donne sur la base des forces importantes réunies auparavant beaucoup plus largement au sein du «collectif Roosevelt » qui a compté jusqu’à cent mille signataires. Quant à la tentative la plus récente, celle de la Primaire populaire, à bien des égards la plus ambitieuse, elle s’est voulue à nouveau l’expression des forces issues de la société civile sans prendre en compte les raisons pour lesquelles des tentatives précédentes (Nouvelle Donne, Jours heureux, Place Publique pour les plus proches) n’avaient pu réussir pleinement.


Pourquoi ce type de tentatives a du mal à réussir selon vous ?

Pour les diverses raisons évoquées ci dessus : insuffisance du trépied que j’évoquais d’entrée : racines sociales , vecteur politique cohérent, investissement intellectuel fort et sous estimation de la question du leadership auquel j’ajoute ce que j’évoque dans ma réponse à la question suivante sur le caractère finalement assez superficiel de nombre de tentatives se réclamant de « la politique autrement ». S’il s’agit pour reprendre l’expression d’Alain Caillé de vouloir "faire de la politique sans en faire, tout en en faisant quand même mais en n’en faisant pas » il n’y a en effet aucune chance pour que cela marche. Pour ma part j’ai accepté le jeu des responsabilités dans la politique partidaire (au PSU et au PS) et dans des gouvernements et je n’ai donc aucune objection de principe à accepter d’aller sur ce terrain. Si j’ai choisi une autre voie c’est parce que le rapport au cynisme que je constatais dans les partis que j’ai le mieux connu, les socialistes et les écologistes, m’a semblé à ce point dangereux que je risquais personnellement d’être soit contaminé soit désespéré. Et c’est parce que je n’avais pas envie de désespérer de la politique que j’ai pensé avec beaucoup d’autres (Gus Massiah, Jean Pierre Worms, Céline Braillon notamment) réinvestir de l’énergie démocratique dans ce que l’on a appelé à partir des années 90 «la citoyenneté active » (cf le réseau créé à l’époque et qui s’est appelé significativement ICARE pour "Initiatives de citoyenneté active en réseaux » puis ensuite le projet de « société civique » pour reprendre un terme utilisé lors des « états généraux du renouveau démocratique » organisés avec le soutien du journal Libération dans les années 2000. Il y a enfin un point important abordé à juste titre par Martin Rieussec dans ses contributions qui est le manque d’ambition de ces projets sur le plan de leurs moyens logistiques. C’est la raison pour laquelle je soutiens des projets de type « écoosysteme » porté par le collectif de la transition citoyenne et que je plaide avec d’autres pour que l’ensemble très riche des organisations présentes dans le Pacte pouvoir de vivre (plus de 60) dépasse la simple logique de plaidoyer et d’interpellation pour se placer également en logique de responsabilité. Il ne suffit pas de réclamer il faut commencer à faire ce que l’on dit à l’image de ce que fut le courant coopératif, mutualiste et associatif ou celui du syndicalisme de transformation sociale. S’engager dans cette direction c’est accepter aussi le terrain d’un modèle d’organisation logistique qui soit à la hauteur des objectifs affiches (voir aussi sur ce point ma note au pacte pouvoir de vivre).


Le terme de “politique autrement” vous paraît il adapté ou préférez vous d’autres termes ?

Ce terme me paraît, à l’expérience, beaucoup trop vague en englobant sous un même vocable des tentatives assez superficielles qui se contentent de servir de vivier au renouvellement du personnel politique de la société politique traditionnelle et celle qui s’attachent plus radicalement à la transformation du rapport au pouvoir entendu au sens non de domination mais de puissance créatrice (je n’oublie pas l’apport d’Alain Caillé sur l’importance d’un troisième terme celui d’autorité) mais in fine l’autorité au sens de Hannah Arendt c’est-à-dire non l’autoritarisme mais la capacité à augmenter le potentiel d’une collectivité est en fait très proche de la logique de puissance créatrice). Ce point est essentiel puisqu’il s’agit de rompre avec l’idée introduite par Machiavel que le pouvoir n’a d’autre référence que sa capacité de conquête et de conservation , le rapport à l’éthique ou au sens de l’action n’étant eux-mêmes que des instruments au service de cette perspective. Il existe en ce sens à mon avis un plafond de verre distinct des questions légitimes concernant la séparation des pouvoirs et leur rôles respectifs : celui du contact avec ce basculement cynique implicite lié au fait que le politique doit traiter directement avec ce que l’on peut appeler « la question du mal » : celui du rapport aux monstres froids que sont les états et les forces financières mais aussi celui des peuples eux mêmes traversés des pulsions contradictoires que j’évoquais ci dessus. Du même coup si la force éthique du politique dans son enracinement, sa légitimité, sa formation n’a pas été suffisante la fameuse dialectique jaurésienne de l’idéal et du réel a vite fait de tourner à l’équivalent de ce que fut « le molletisme » dans l’histoire du socialisme français : un discours de gauche pour accéder au pouvoir et une pratique de soumission aux logiques dominantes une fois celui ci conquis.
Pouvez-vous énoncer quelques hypothèses concernant l’avenir à partir de ce premier bilan ?
Il me semble que je les ai énoncés en cours de réponses aux questions précédentes mais je le referai volontiers l’exercice à la lumière des autres réponses présentes dans ce doc partagé.
Jean-Claude DEVÈZE : “Contribution à un bilan des tentatives de faire de la politique autrement”
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Mes tentatives de faire de la politique autrement dans diverses organisations :

Démocratie et spiritualité (D&S)
La charte fondatrice de D&S, d’octobre 1993 illustre l’utopie que les fondateurs poursuivaient et voulaient incarner : ouvrir un espace de recherche, de débat et d’action autour de « deux approches novatrices » à approfondir et à relier : « l’exigence démocratique et le renouvellement spirituel ». Au début des années 90, après l’effondrement de l’URSS et de ses satellites qui privait l’Occident d’un motif pour s’unir, il s’agissait d’affronter les défis nouveaux d’une époque déjà marquée par la mondialisation.
Face aux crises d’identité de notre société, des hommes et des femmes échangent, méditent, partagent leurs expériences, leurs analyses, leurs itinéraires spirituels, leurs perspectives. L’objectif de l’association est de réfléchir aux interactions entre la démocratie et la spiritualité, entre actions citoyennes et vies spirituelles, entre transformations personnelles et transformations collectives. Concrètement, cette démarche engage à un travail sur soi-même reposant sur le dialogue avec autrui, à la création de nouvelles manières de vivre ensemble et de « faire société », à l’invention d’une spiritualité démocratique ouverte que chacun peut s’approprier suivant les convictions qui lui sont propres.

Le Pacte civique
Le Pacte civique a été lancé en mai 2011 à Issy-Les Moulineaux, avant l’élection présidentielle de 2012. Un important travail préparatoire avait été mené par Démocratie et spiritualité, La Vie Nouvelle et Poursuivre, puis conduit en lien avec d’autres mouvements citoyens.
Le Pacte civique s’adresse à toutes les organisations et à toutes celles et ceux qui sont prêts à coopérer pour (ré)inventer ensemble notre démocratie et édifier un avenir désirable pour tous. Cette œuvre ouverte s'efforce de promouvoir les impératifs de créativité, de sobriété, de justice, de fraternité en mettant en œuvre des engagements personnels, organisationnels et citoyens.
L’Observatoire Citoyen de la Qualité Démocratique (OCQD)
Durant six ans, à partir de 2012, j’ai animé au sein du Pacte civique l’Observatoire citoyen de la qualité démocratique (OCQD). Son objectif est d’observer et d’évaluer la qualité de processus démocratiques, de réformes, de lois, de nouvelles pratiques et initiatives citoyennes, etc., ce qui doit contribuer à favoriser l’implication civique. Jusqu’en 2020, il a été publié un rapport annuel. Depuis, une partie des travaux sont publiés par Jacques andré éditeur.
Pouvoir Citoyen En Marche (PCEM, ex EGPC)
Dès leur lancement à la bourse du travail à Paris le 12 octobre 2013, les Etats généraux du pouvoir citoyen cherchaient à susciter un imaginaire politique commun entre des mouvements de gauche et à mettre en scène et en chaîne des initiatives de terrain. Par la suite, il fut décidé de prendre la dénomination de Pouvoir citoyen en marche. Cette organisation informelle organisa des réunions de réflexion politique et chercha à peser lors des élections présidentielles de 2017.
Ensuite, un noyau d’animateurs de PCEM continua à se réunir jusqu’en 2021 pour discerner sur les problématiques politiques émergentes et sur les initiatives possibles à prendre ensemble.
Convivialisme
Le convivialisme est un mouvement d’intellectuels engagés qui pensent qu’un autre monde est non seulement possible, mais qu’il est absolument nécessaire et urgent d’en dessiner le contour et de le penser. Le mouvement, animé par le sociologue Alain Caillé, a publié en 2013 un “Manifeste du convivialisme, déclaration d’interdépendance” et en 2020 un “Second manifeste du convivialisme, pour un monde postlibéral” réunissant 300 signataires du monde entier.
Pacte du pouvoir de vivre
Le 5 mars 2019, 19 organisations environnementales, de solidarité et d’éducation, mutuelles et syndicats - issues pour la plupart du collectif Les Places de la République -, ont présenté, lors d’une conférence de presse, le Pacte du pouvoir de vivre et ses 66 propositions pour répondre à l’urgence sociale et écologique de notre pays. Le Pacte du pouvoir de vivre s’est ensuite élargi, comprenant maintenant plus de 60 organisations. Il a présenté 85 propositions pour les élections présidentielles de 2022. Il vise toujours à faire entendre par les acteurs politiques la voix de la société civile organisée.


Mon bilan

Des associations, en particulier D&S et le Pacte civique, m’ont aidé à passer d’un idéalisme trop désincarné à la construction d’utopies créatrices à concrétiser (un aperçu en est proposé en annexe). J’ai publié pour exposer mes thèses et propositions six ouvrages chez Chronique sociale : la présentation du Pacte civique Penser, agir, vivre autrement en démocratie dont j’avais coordonné l’édition avec Jean-Baptiste de Foucauld (2013) ; Citoyens, impliquons-nous, (re)prenons le pouvoir (2015) ; Relever le défi démocratique face à un monde en mutation (2017), coécrit avec Jean-Baptiste de Foucauld et Pierre Guilhaume pour l’élection présidentielle de 2017 ; Pratiquer l’éthique du débat, le défi de la délibération démocratique (2018) ; Vers une civilisation-monde alliant culture, spiritualité et politique (2020) ; 12 enjeux pour un devenir commun, choisir, inventer, édifier ensemble (2022).
Mon bilan personnel est dans l’ensemble positif : implication dans des associations permettant de réfléchir et débattre, recueil d’éléments nourrissant mes divers ouvrages et mes courriers des lecteurs, structures motivantes permettant de continuer à exister après sa retraite. Seul élément négatif : un sentiment d’être marginal et peu reconnu quand je mets en avant mes convictions culturelles et spirituelles.
Le bilan collectif est plutôt négatif, même si des points positifs sont à retenir dans chaque cas :
difficulté de faire coopérer des structures militantes qui ont chacune leurs priorités et leurs agendas ;
fracture persistante entre militants cherchant le rassemblement des citoyens de bonne volonté et ceux se voulant ancrés dans une gauche révolutionnaires, altermondialiste, systématiquement critique du pouvoir en place et de ses essais de réforme ;
tendance de certains responsables de nos mouvements à initier sans cesse de nouvelles priorités et à s’engager dans de nouvelles initiatives sans un travail collectif préalable d’évaluation de ce qui a été fait, d’inventaire de ce qui existe et de discernement ;
irréalisme de l’inutilité d’un leadership, tout membre devant occuper la même place autour d’un centre vide disponible pour se retrouver, et illusion de la capacité d’autogestion de structures collectives devant s’élargir, d’où l’impression de beaucoup de temps perdu à chercher à s’entendre autour d’un centre vide au dépend de la capacité de définir des positions réalistes et d’agir au service de l’essentiel.
Parmi mes déceptions, je retiendrais :
la stratégie personnelle de Pierre Larrouturou avec lequel nous avions créé EGPC/PCEM puisque le collectif Roosevelt n’avait pas voulu adhérer au Pacte civique. Il nous lâcha en 2015 pour satisfaire ses ambitions de renouveler avec Nouvelle Donne aux élections européennes l’exploit de faire un bon score électoral comme auparavant Cohn-Bendit avec EELV ;
la non évaluation de la Primaires Citoyenne en 2017 et de ses limites, ce qui ne favorisa pas la prise en compte par la Primaire Populaire en 2022 de ce qui fut un premier échec ;
la difficulté à faire débattre avec des méthodologies appropriées des désaccords entre les militants.
Parmi les problématiques et les questions à approfondir, je privilégierai :
la clarification des notions de peuple, de peuple de gauche, de peuple citoyen, etc., et l’examen des forces et des faiblesses des cultures populaires ;
la façon d’articuler nos diverses identités, en particulier entre ancrage local, appartenance régionale, sentiment national, citoyenneté européenne et mondiale ;
la définition de ce qu’est une identité de gauche, entre internationalisme et altermondialisme, entre anticapitalisme et contrôle du pouvoir économique et financier, entre révolution et réforme, entre autogestion et régulation démocratique, etc..
la recherche de cohérence entre le fond et la forme en politique ;
l’élaboration et l’apprentissage d’une culture politique et civique porteuse d’espoir, voire d’espérance.
De la difficulté de faire de la politique autrement avec la société civile et les citoyens
Faire de la politique autrement est difficile, car les responsables politiques et les élus ont toujours eu du mal à gouverner avec et pour le peuple et à coopérer avec la société civile. Les causes de cet état de fait ont été souvent brillamment analysées.
Pour ma part, je mets l’accent sur une coresponsabilité des élus et des citoyens en matière de dégradation de la qualité de notre vie démocratique. Ces derniers ont été habitués à l’Etat providence qui doit répondre aux multiples demandes individuelles en oubliant trop souvent l’intérêt général dans la durée, d’où l’importance des citoyens qui s’impliquent pour servir la collectivité. Ces derniers ne sont pas que de gauche, d’où l’impasse de celle-ci quand elle ne cherche pas des alliances durables au centre et avec la société civile organisée. Quant à la société civile, très atomisée, elle a du mal à s’organiser et à éviter de tomber dans une dépendance financière de ceux qui nous gouverne ou une opposition systématique.
Une des propositions régulièrement émise dans nos milieux militants est celle de rassembler des citoyens conscients des enjeux autour d’un récit porteur d’avenir, d’une vision du monde invitant à l’effort responsable pour la faire advenir, d’une utopie créatrice. Malheureusement, jusqu’à maintenant, les tentatives dans ce domaine, malgré les talents de certains comme le pape François dans ses encycliques et lettres pastorales, comme Edgar Morin prônant une politique de civilisation, comme le Pacte civique militant pour la démocratie autrement, comme les Convivialistes promouvant un vivre ensemble porteur de sens, n’ont pas eu l’écho escompté.
L’intuition du Pacte civique a été de rappeler que l’on ne peut faire de la politique autrement sans penser, agir, vivre autrement aussi bien individuellement que collectivement. Faire de la politique autrement demande de la vertu et de l’altruisme, mais aussi des partis et mouvements qui soient des communautés fraternelles ayant un socle solide et une volonté de recherche de vérités partagées capable de dépasser les intérêts personnels et claniques.
La politique autrement, c’est aussi l’exigence de cohérence entre ce qu’on fait et ce qu’on dit, entre les fins et les moyens, entre le fond et la forme, entre les idées et les méthodes démocratiques.
Mes (hypo)thèses et suggestions pour coconstruire le monde de demain

Mes (hypo)thèses
Dans l’affrontement entre le bien et le mal, il est important à la fois de favoriser l’éveil des consciences personnelles et la vigueur de communautés où l’on peut cheminer fraternellement en recherche de vérités partagées et d’incarnations de prises de conscience collectives.
Toutes les cultures du monde ont leur génie propre et leurs faiblesses, la question étant celle de notre capacité à exprimer le meilleur de notre culture porteuse d’une langue maternelle du sens et le défi étant celui de dialoguer avec d’autres cultures pour se retrouver autour d’un humanisme partagé à incarner. Ceci suppose de lutter contre les carences et dérives de sa propre culture et d’en incarner les vertus.
Dans la recherche d’un équilibre personnel, il est important de trouver les synergies entre corps, âme, esprit et les équilibres entre raison et émotions, ce qui favorise la capacité à vivre au quotidien en s’ouvrant au monde qui nous entoure.
Dans nos recherches de sens et donc de l’essentiel dans nos vies, il est recommandé d’allier culture, spiritualité et politique pour générer des utopies porteuses d’espérance en cohérence avec nos capacités pour affronter au quotidien individuellement et collectivement les difficultés de la vie.
Les défis multiples à affronter par l’humanité requièrent à la fois des prises de conscience individuelles et collectives, des interactions constructives entre les diverses communautés et les multiples acteurs concernés par le même enjeu, des régulations politiques aux échelles pertinentes, des résistances courageuses aux dérives inhumaines, des visions constructives rassembleuses, etc.
Mes suggestions
Des travaux et colloques sur l’éthique du débat nous ont aidés à approfondir l’utopie de la prise en compte des convictions et ressentis de tous. Il s’agit sans cesse de relever le défi du dialogue respectueux, de la délibération constructive, de la recherche du consensus ou du compromis pour dépasser nos désaccords après un travail de clarification du sujet en débat.
Plus largement, il faut travailler à la mise en œuvre de processus et méthodes démocratiques adaptés aux problèmes à traiter et à la diversité des acteurs concernés.
Il ne faut pas oublier que la promotion conjointe d’une résistance créatrice, d’une expérimentation novatrice et anticipatrice, d’une vision transformatrice doit bénéficier du complément indispensable d’une évaluation partagée de ce qui a été entrepris pour pouvoir coconstruire notre devenir commun.
Il faut sans cesse lutter pour promouvoir les droits de l’homme et la démocratie face aux dictatures, aux totalitarismes, aux intégrismes, aux exploiteurs, etc. Ceci nécessite de ne pas faire de concessions à la réalpolitique que cela nous fasse perdre notre cohérence avec nos messages humanistes porteurs d’une mondialité fraternelle.
Il faut chercher à chaque fois les équilibres entre le recours à la radicalité pour faire face aux défis actuels et le respect de l’adversaire qui ne partage pas nos convictions.
Face à la coupure croissante entre élites et base populaire citoyenne, il faut agir sur de multiples terrains : mise à disposition de tous des éléments du débat civique dans des formes accessibles et expurgées des thèses complotistes comme des informations déformées et tronquées, promotion à l’école et après d’une culture civique et d’un apprentissage de l’usage des médias, encouragement à l’implication civique et à l’interaction avec les médias, etc.
Annexe : un aperçu de mes utopies

Mes utopies créatrices sont la promotion d’une culture dialoguante, d’une société civique et éducative, d’un débat éthique, d’une république citoyenne, d’un ancrage territorial solidaire et créatif, d’une Europe humaniste, d’une civilisation-monde plurielle. Il s’agit de percevoir ce qui est en gestation et donc d’être attentif au monde qui vient ; il faut à cet effet être en veille, prenant le temps de prendre du recul et de discerner en s’appuyant d’une part sur ce que chacun observe et ressent, d’autre part sur des références et repères communs issus d’un diagnostic partagé. Le rêve que je poursuis avec Gilles La Cardinal est de mettre en scène et en chaine à cet effet des méthodes et des outils pour co-construire des projets, des réformes, des politiques, etc.
L’inspiration vient de rencontres sincères aidant à des partages et des remises en question, mais aussi de cheminements personnels et collectifs donnant du sens ; ceux-ci s’appuient sur des courants philosophiques, des écoles spirituelles, des religions ouvertes sur autrui et sur le monde, cherchant une cohérence entre paroles nourrissantes et actes désintéressés. Ceci devrait conduire à développer une conscience universelle ancrée dans des réalités et des actions partagées.
Une de mes utopies est la recherche constante de nouveaux équilibres s’inscrivant dans la durée, par exemple entre l’économique, le social et l’écologique ou entre la culture, la spiritualité et le politique ou entre le corps, l’âme et l’esprit.
Mon vœu est que chacun puisse cheminer dans la société en réalisant ses vocations sur terre grâce à un discernement personnel favorisé par des réseaux attentifs et des communautés fraternelles, grâce à un effort continu et créatif pour que s’épanouisse toutes les potentialités, grâce à une foi en chaque homme et chaque femme capable de lutter contre le mal et de faire le bien. C’est d’abord l’ensemble de ces itinéraires vertueux qui renforce le tissu social permettant d’affronter le quotidien comme de relever les multiples défis actuels.
En parallèle, l’accès à un riche univers symbolique, poétique, naturel, lumineux permet de prendre le recul nécessaire pour lutter contre les pesanteurs de la vie en étant disponible à ce qui vient et attentif à autrui.
Finalement, je poursuis l’utopie d’un monde toujours plus humain, plus fraternel, plus sobre, plus civilisé, plus démocratique.
Robert SPIZZICHINO (1) : “Faire politique autrement“
Les ambitions initiales du Parti de Gauche (PG) pour transformer les pratiques politiques
Le Parti de Gauche, lors de sa création en février 2009, a rassemblé plusieurs responsables politiques et militants (dont JLM) qui, notamment, réfutaient le fonctionnement des partis existants (PS, Verts, PCF, NPA, ….). De plus, la présence parmi les fondateurs de membres de mouvements citoyens bien décidés à ne pas laisser se reproduire les insuffisances passées et à faire vraiment du neuf ont incité à rechercher comment « faire politique autrement » (terme plus tard réfuté), avec comme perspective « la gauche par l’exemple ». Le témoignage qui suit (je fus cofondateur de ce parti et secrétaire national au démarrage) s’efforce de s’appuyer, non sur les déclarations politiques générales souvent non suivies d’effets, mais sur les pratiques et les actions effectives que j’ai eues à connaître et à mettre en œuvre localement et nationalement.
Les statuts du parti de 2010 évoquent un parti ouvert et démocratique (« pas de chapelles, de culte du chef ou de domination des spécialistes de la politique, …ouvert à la parole des sans-voix, soucieux de fraternité et de solidarité »). Il se définit aussi comme un parti d’éducation populaire, alliant réflexion et action. S’il se structure assez conventionnellement au niveau national et en comités locaux, il prévoit aussi des cercles d’au moins 5 membres pouvant associer de manière souple des sympathisants et des militants et se fixant ses objectifs et ses actions propres.
Ces éléments se retrouvent effectivement sur les terrains des premières implantations du PG : des cercles se créent, des séances d’éducation populaire essentiellement tournées vers les militants et les sympathisants se développent (sous l’animation générale du groupe de la lettre Respublica avec Bernard Teper à la manœuvre). Les cercles réunissent souvent des militants du PG et ceux d’autres mouvements de gauche et d’autres formations politiques, notamment les socialistes de gauche étant restés au PS ; ces initiatives favoriseront la vie du Front de Gauche. Les relations souhaitées avec le mouvement syndical donnent lieu, sous l’impulsion de Claude Debons, à la création d’une revue « les temps nouveaux », consacrée à la relation entre mouvements sociaux et luttes politiques. Plusieurs comités essaient d’innover dans leur fonctionnement et dans leurs actions qu’ils veulent tournées vers les contacts terrains et la gauche par l’exemple. Il s’agissait notamment d’être présent dans les luttes syndicales ou dans celles des sans papiers et des travailleurs immigrés. Les questions du féminisme et de la décroissance (en connivence avec Paul Ariès) ont une place de choix dans les débats et dans les relations avec les mouvements citoyens.
Fin 2009, un document projet identitaire idéologique et stratégique, de « repères et de ruptures » préalable à l’élaboration d’un programme est élaboré : Lignes d’horizons. Ce document s’efforce de tirer parti de toutes les contributions théoriques et pratiques pour faire du PG un « parti creuset » qui veut réaliser la fusion en son sein du meilleur des combats d’émancipation du passé en les adaptant aux problématiques actuelles. Il se donne comme perspective la refondation républicaine et démocratique de la société et de l'État.
La convention de décembre 2009 qui devait adopter ce document, jugé assez remarquable par la plupart des militants, se passe dans une certaine confusion ; plusieurs responsables du parti proches de JLM en nient l’utilité , privilégient les urgences électorales et la réalisation rapide d’un programme pour le PG et pour le Front de Gauche ; ce sera fait un an plus tard avec les 177 propositions du PG base de discussion pour le Front de Gauche, méthode qui sera une constante de la pratique pré-électorale de JLM qui se poursuit jusqu’à la constitution de la NUPES.
Bilan
Si ce qui s’est passé fin 2008 et en 2009 a fait passer un grand souffle d’air frais sur le fonctionnement politique et a permis d’entrevoir l’espoir d’un véritable changement en la matière, très vite, JLM, aidé par François Delapierre et quelques proches, a voulu privilégier sa vision stratégique, consolider son emprise sur le parti, et donner la priorité aux combats électoraux. On est alors revenu aux « grands classiques ».
Malgré tout, ce qui s’est passé, a laissé des traces multiples au niveau des alliances, du « militer autrement », de ne jamais se centrer seulement sur les partis, mais trouver les bonnes façons d’associer les mouvements sociaux et citoyens. On peut même estimer que, sur bien des points, LFI est une héritière de ces essais de 2009 prolongés les années suivantes au sein du PG.
La principale leçon à tirer, à mon sens, au-delà des débats possibles sur le culte des “chefs-leaders”, est celle de la difficile gestion des temporalités. Passer du projet à un programme ambitieux de rupture, co-construit partagé et vivant, demande du temps. Et, si toutes les forces militantes sont consacrées aux échéances électorales et à l’image qu’on veut donner de soi au travers du parti, on passe à côté de ce temps nécessaire de maturation et d’échanges qu’exige le fait de « faire politique autrement ».
Fragmentations ou Convergences
En 2009, la gauche politique était sur la défensive sous le quinquennat assez implacable Sarkozy-Fillon, et ses réactions étaient faibles, les querelles personnelles prenant le pas sur les nécessités de changements de logiciels et de travail idéologique. Chaque sensibilité de la gauche politique et sociale croit bon d’avoir son organisation propre et cultive jalousement ses réseaux. La naissance du PG, pourtant parti modeste de 5000 adhérents au départ, était rentrée en résonance avec, d’une part des sensibilités se manifestant à l’intérieur des partis de gauche, d’autre part avec des initiatives issues des mouvements sociaux -il faudrait une analyse fine historique pour en dresser le tableau-. Le neuf était déjà là. Mais, si sur le terrain, des convergences se sont dessinées, la crainte de tout leadership du PG, confortée par le slogan de « parti-creuset », freine la recherche de convergences et l’émergence d’un mouvement politique visible. En fait, c’est le jeu électoral traditionnel qui a prévalu, jeu que le PG a cru bon de considérer comme une condition nécessaire de son existence (financement oblige). Il est alors redevenu un parti comme un autre, et sa vocation de creuset a été réfuté Cette expérience a également souffert de la contradiction entre celles et ceux qui souhaitaient une rénovation profonde des pratiques et le fonctionnement quotidien du principal animateur du PG, JLM, dont les références trotskystes avaient souvent du mal à s’effacer, au-delà même de considérations souvent mises en avant sur sa personnalité.
Concepts et terminologie
La question du renouvellement des pratiques militantes et politiques avait été analysée dans le document- projet « Lignes d’Horizon » comme résultant d’une recherche sur les évolutions globales du concept et de l’organisation de la démocratie dans la société française. Le constat en était tiré que c’était dans les luttes de tous les jours que se construisaient et que vivaient des formes nouvelles d’une démocratie émancipatrice. La notion de « démocratie républicaine jusqu’au bout », si elle devait s’appliquer à l’organisation et au fonctionnement des institutions, devait aussi s’appliquer au fonctionnement de la vie politique ; on affirmait que « pas plus un individu qu’un parti ne peut avoir raison seul ». Et donc, il faut pouvoir prendre en compte les diversités, les divergences et même les conflits.
A noter que la terminologie « faire politique autrement », jugée employée à tort et à travers, a été réfutée, comme connotée en tant que slogan politique creux ou alibi.
Que tirer de ce cas pour l’avenir ?
La gauche par l’exemple, la prééminence des luttes de terrains, la distance à mener vis à vis de l’électoralisme, la gestion du temps pour le débat et le partage, la nécessité d’un cadre conceptuel global non limité aux pratiques politiques, ce sont autant de conclusions de l’analyse de ce bref épisode vécu au sein du PG à sa naissance.
Le fait de chercher à co-construire un renouvellement des pratiques et du fonctionnement de la vie politique n’a rien d’impossible ou d’utopique. Elle exige d’abord de se rapporter au contexte sociologique de l’époque et de tirer en effet les leçons du passé. Elle nécessite surtout d’apporter la preuve par l’exemple. Mais on ne peut se contenter d’analyses pertinentes, de concepts nouveaux, ni même d’expériences pilotes. Il s’agit avant tout de promouvoir un projet de société, dont les partis, les cénacles et les mouvements ne sont que de modestes outils parmi d’autres.
Robert SPIZZICHINO (2) “Qu’est ce qui, aujourd’hui, dans la manière de faire de la politique, pourrait être producteur de dignité”
Le contexte politique en 2015
2015 (F. Hollande/Manuel Valls) est l’année des attentats sanglants, les élections départementales et régionales perdues à gauche, et d’une fragmentation accrue de la société française. Du côté des partis de gauche, les divisions sont partout, à l’intérieur et entre eux. En particulier, le Front de Gauche commence à se déliter.
Devant cette situation, et pressentant des évolutions négatives, des élus locaux de gauche, issus pour la plupart du Front de Gauche, font l’analyse que la principale sauvegarde pourrait venir d’une action politique tournée vers le terrain local. On se pose alors la question de retrouver les concepts et les bonnes pratiques du socialisme et du communisme municipal. Ils sont aidés en cela par des universitaires et des professionnels, travaillant principalement sur les questions d’aménagement des territoires et des villes, et de l’habitat. Le 7 mai 2015, lors d’une assemblée réunissant une centaine de personnes, il est créé un laboratoire d’Idées « la Ville en commun ». Cette note ne traitera pas de l’ensemble des travaux de ce laboratoire, de ses succès et de ses échecs, mais se centrera sur la thématique du faire politique autrement.
Les instances de la Ville en Commun (Comité d’Orientation et Conseil Scientifique) retiennent en effet dans les sujets prioritaires, le thème suivant au départ assez flou « Qu’est ce qui, aujourd’hui, dans la manière de faire de la politique, pourrait être producteur de dignité ? »
Derrière ce questionnement dont le terrain est avant tout local (et urbain), plusieurs débats se font jour :
Le rapport égalité/dignité : Produire de la dignité, est-ce s’éloigner de la conquête de l’égalité ou au contraire, l’accès à la dignité serait-elle une condition indispensable pour la conquête de l’égalité. Lorsqu’on intériorise les discriminations, on rend légitimes les inégalités. Ceci s’est prolongé par la critique du concept d’équité
Comment se vivent les humiliations au quotidien de plusieurs groupes sociaux discriminés ?
Comment et en quoi les politiques sociales territoriales peuvent-elles être « productrices » de dignité ? Les villes dites « progressistes » ont-elles des pratiques différentes en la matière ?
Peut-on cultiver le sentiment d’appartenance à une communauté de ville, une identification à un territoire, la fierté d’y vivre contribue-t-il à plus de dignité des habitants ? Comment créer du commun ensemble, un imaginaire commun à l’échelle locale ?
….
D’où le lancement d’une recherche-action sur ce questionnement, avec comme ambition de déboucher sur des changements effectifs ressentis comme positifs par les habitants, et en particulier par « les couches populaires »
La recherche-action sur la dignité
Un travail préparatoire de plus de 16 mois a d’abord été mené sur ce questionnement depuis novembre 2016 par la Ville en Commun. La phase de recherche-action proprement dite a débuté au printemps avec la participation du LAVUE, laboratoire CNRS sur les études urbaines. (Agnès Deboulet et Khedidja Mamou et Marta Pappalardo).
La recherche d’ensemble a été construite autour de 3 volets complémentaires et interactifs :
Un cycle de séminaires théoriques sur la notion de dignité ;
Une recherche-action effective sur trois terrains ;
Une réflexion sur l’opérationnalité de la dignité dans les politiques publiques locales
Dans ce qui suit, on n’évoquera que la phase de recherche-action, même si elle est inséparable des deux autres
La recherche-action a été menée dans trois villes en parallèle (Auby, Gennevilliers et Montfermeil) en s’intéressant à chaque fois à un angle thématique particulier : le projet urbain comme support de dignité collective à Auby, la question des discriminations et de la
citoyenneté des personnes éloignées de l’action publique à Gennevilliers et la question de la réussite éducative comme facteur de dignité à Montfermeil. Chaque ville a nécessité la mise en place d’une méthodologie spécifique, mais les populations concernées y ont été systématiquement associées dans des ateliers ad hoc.
Chaque ville a une histoire et une composition sociale qui amène à penser que toute politique fondée sur la dignité est spécifique, même s’il peut y avoir des points de repère méthodologiques communs.
Des politiques généreuses menées par des élu.e.s soucieux de justice sociale et d’égalité des droits ne suffisent pas ; les intéressés veulent être reconnus comme membres d’une « communauté urbaine » et non seulement être consultés ; ils ne sont pas des bénéficiaires, mais des citadin.e.s-citoyen.ne.s qui ont des modes de vie, des liens sociaux auxquels ils tiennent , … et cela se traduit par des exigences, mais réelles et essentielles, même si parfois elles sont mal exprimées vis -à vis des « décideurs ». Mais le constat est fort d’un décalage entre les intentions de politiques inclusives municipales, leur mise en œuvre effective et la manière dont elles sont ressenties et vécues par les populations concernées.
L’espace urbain sert souvent de support à l’espace politique. C’est vrai pour l’habitat et pour les équipements publics et sociaux ; c’est aussi vrai dans la conception et dans la gestion des espaces publics, là où se manifestent des signes de discrimination ou au contraire d’hospitalité et de qualité dans le « vivre ensemble ». L’espace urbain est aussi souvent pour chacun un espace où l’on peut déployer ses compétences (sports urbains, parures, artisanat, économie informelle…).
Lorsqu’on aborde une situation dans laquelle intervient une problématique possiblement liée à la dignité, on se heurte d’entrée de jeu à quelques difficultés à surmonter : l’organisation des services et la formation des agents qui parfois reste insuffisant ou inadéquate, la méfiance de certaines populations qui craignent d’être manipulées par la municipalité, etc. Pour que ces difficultés soient surmontées, les enjeux politiques doivent être partagés par les parties en présence, cela en prenant le temps qu’il faut.
Si de nombreuses pistes de compréhension des actions liées à la dignité se sont ouvertes dans les trois villes, la durée de la phase de lancement et de cadrage des démarches reste trop courte pour évaluer sérieusement les résultats obtenus. En revanche, on a constaté des changements positifs dans certaines pratiques municipales et dans des regards des habitant.e.s surmontant des a priori. Dans les trois villes, des suites opérationnelles ont été annoncées par les autorités locales et souhaitées par les participants aux ateliers. On ignore malheureusement ce qu’il en est advenu dans les faits.
Remarque:
Au sein de la Ville en Commun, ce travail a été complété par l’organisation d’échanges entre des associations militant pour le droit à la ville et à l’habitat et des chercheurs français et étrangers ayant poursuivi les travaux d’Henri Lefebvre sur le sujet. Une rencontre internationale de 2 jours à la ville de Paris et à la MSH Nord de Saint-Denis a constitué un point d’orgue de ces échanges.
Nous avons considéré qu’il y avait une grande complémentarité avec les travaux menés sur la dignité, y compris par le fait que les associations éprouvaient souvent de grandes difficultés à intégrer dans leurs luttes les personnes qu’elles défendaient, et n’avaient que de faibles connaissances des travaux académiques qui auraient pu les aider, le « droit à la ville » apparaissant davantage comme un slogan utile que comme une démarche holistique à consolider et à diversifier.

Autres retours d’expériences
Didier Fradin : “Je mets ici des liens vers de précédents retours d’expérience qui ont fait émerger des solutions possibles, plus dans l’idée de la transition que de la politique dure, mais il va bien falloir que tout cela converge …”
REX Convergence des transitions (canva.com)
Additionnons nos forces !!! : LesIdeesDactions
Agora des archipels : FacetteRessource


PROPOSITIONS sur la CONVERGENCE (à reporter dans un autre fichier partagé ad hoc)

je vous joins un texte élaboré pour parvenir à faire converger les mouvements citoyens
XXX ? Co-construire les fondations d’un courant humaniste plus respectueux du vivant, respectant les singularités, en capacité d’être au second tour en 2027 et de remporter les présidentielles de 2032.
Pour le moment, la classe politique a échoué à entraîner une majorité de nos concitoyens sur la voie des meilleurs des traitements face aux maux de notre planète.
· Sociétaux (non insertion de chacun, inégale répartition des richesses).
· Ecologiques (biodiversité, acidification des océans, épuisement des ressources, cycles de l’eau, et pollutions multiples…, sans parler du réchauffement climatique
· Relationnels (incivilités, violences, discriminations, guerres avec les autres civilisations et entre peuples)
· Organisationnels (représentation insuffisamment diversifiée, informations difficilement validables et contrôlées par les puissants, bureaucraties, lobbies à tous les étages).
Les raisons sont multiples, en voici quelques-unes qui gagneraient à être débattues :
· Préoccupations à des échelles de temps non synchronisées avec une forte domination du court terme.
· Dialogues pauvres entre « matérialistes » et « idéalistes ».
· Pas d’outils partagés et conscientisés pour dépasser le binaire et réguler le vivant.
· Prégnance des rapports de forces au lieu de la coopération.
· Difficultés à disposer d’informations fiables et partagées.
· Liens entre le local et le global trop lâches et faiblesse de la pensée latérale.
· Manque de disponibilité de chacun pour un projet vraiment commun….
Certaines tentatives ont déjà eu lieu comme « l’âge de faire » ; « Nouvelle Donne » Place Publique, la primaire populaire,… mais elles ont cru pouvoir se contenter de mettre en avant des points communs sans prendre le temps d’examiner et de se mettre d’accord sur les raisons des blocages et de repenser les choses.
Nous avons aussi l’existence de dizaines de milliers de gens qui oeuvrent sur le terrain, mais nous avons une difficulté à résoudre celle de faire en sorte que toutes ces personnes aient du temps disponible pour s’occuper d’un projet plus vaste.
Nous proposons un processus pour parvenir à constituer, d’ici au maximum 10 ans, une large majorité en capacité de traiter efficacement ces problèmes.
Cela devrait passer par un grand mouvement citoyen structuré pour influer sur le politique et in fine par un mouvement politique digne de ce nom.

N’étant pas en capacité de réunir des conventions citoyennes avec des gens tirés au sort échangeant avec des politiques et des experts, pour, thèmes par thèmes, proposer des solutions, nous proposons de commencer par un week-end, idéalement en Septembre ouvert à toutes celles et ceux estimant que nous avons besoin d’un large accord de base et pas seulement des accords électoraux.
Nous pourrions envisager de nous réunir en partant de zéro pour simplement apprendre à nous écouter et nous respecter, cela fait partie des prémisses de bases que nous avons justement intégrés au sein d’une méthode . Cela a permis, entre autres de déboucher sur un manifeste de la FCPE et de traiter la question des déchets nucléaires à travers l’Europe.
Prendre le temps de bien spécifier les accords de base pour pouvoir, dans un second temps, élaborer les stratégies des traitements des désaccords, en respectant les trois registres fondamentaux de l’homme : le concret, le sensible et le conceptuel.
Ce week-end n’est évidemment que le début d’un processus que nous devons construire ensemble
Ce nouvel humanisme écologiste, ne peut se contenter de lois et de décrets, il nécessite la prise de conscience d’un maximum de gens et donc une façon de traiter les questions aux antipodes non seulement du libéralisme débridé mais des modes de décisions actuelles.
La gauche porteuse de plus d’équité ne parvient ni à se mettre d’accord sur les limites du productivisme ni sur l’importance de l’implication et de la responsabilisation massive des citoyens pour être en capacité d’autoréguler ce qui dysfonctionne ; sans parler de la nécessité d’aborder en profondeur les désaccords. Le logiciel dominant est structuré autour d’une vision du pouvoir ne facilitant pas de la coopération.
Il y a un besoin impérieux de faire de la politique de façon écologique, c’est-à-dire respectueuse de la diversité et ayant intégré la finitude, au point de ne pas être fasciné par les mirages du transhumanisme.
Le clivage droite/gauche, s’il va perdurer encore, est tout à fait inopérant pour traiter les problèmes de la planète, tout simplement parce qu’il n’y pas d’alternance de positions envisageable lorsqu’ il s’agit d’éteindre le feu dans une maison qui brûle. (Nous devons donc extraire le meilleur des deux courants : on pourrait proposer de façon brève : l’égale considération de tous et la culture de la responsabilité).
Nous proposons de commencer par les principes à respecter et les méthodes appropriées, plutôt que d’élaborer un catalogue de solutions qui dans notre esprit devraient être l’objet de conventions citoyennes revisitées, mais pourrons très bien être abordées dans un deuxième temps.
Voici un premier jet du cadre des accords de base, fondé sur une méthodologie qui a fait ses preuves en 1990, lors de La prospective du Vingt et Unième Siècle de Thierry Gaudin. Ce dernier s’appuyait sur deux présupposés : l’axe matière-énergie qui a dominé le monde doit être complété par l’axe temps -vivant et nous devons sortir de « l’homme maître et possesseur de la Nature et donc de la méthode cartésienne, pour devenir les jardiniers de la planète ; passer ainsi d’une logique « d’avoir pour agir » à « agir pour être et pour servir ». Cela ne devrait pas empêcher de respecter celles et ceux qui souhaitent une vie tranquille et n'ont pas le désir de s’impliquer.
Bien entendu nous sommes conscients du caractère fragile d’un mouvement seulement national, mais si nous parvenons à être les plus impeccables possible dans l’avancée des choses nous pouvons espérer être rejoint par d’autres et participer aussi aux prémisses d’une nouvelle gouvernance Mondiale.

Ce que nous souhaitons expérimenter lors d’un week-end, c’est un processus qui permet à tout un chacun de pouvoir à la fois le rejoindre et l’améliorer.
Nous pensons utile de pouvoir partir de généralités partagées et reformulables pour créer un climat propice à tous les échanges constructifs.
Lors de la première journée par groupes de 6 puis en AG, tout un chacun aura pour tâche de reformuler ce qui ne lui convient pas, en veillant à obtenir l’accord de tous et de compléter par ce qui lui parait manquer.
Certes nous savons qu’il y a eu d'autres tentatives de parvenir à cela comme par exemple
https://www.presencing.org/gaia, rien n’empêche de les contacter.
Nous proposons de tester la base de départ suivante :
Nous devrions être d’accord sur le fait que :
1. Il est essentiel que chacun ait un toit, une activité ayant du sens et se sente en sécurité pour se nourrir et se déplacer.
2. Il est essentiel de faire en sorte qu’aucune activité humaine dont nous bénéficions ne soit méprisée et d’en tirer les conséquences au niveau des revenus de chacun et des formes de rétribution de ces revenus.
3. Il est crucial de faire en sorte que chacun soit en meilleure santé.
4. Il est nécessaire de réparer les blessures et maltraitances de l’enfance.
5. Il est important de pouvoir obtenir réparation de préjudices rapidement, tout en réinsérant au maximum ceux qui en sont à l’origine.
6. L’éducation et la formation permanente à un monde plus respectueux de chacun et du vivant devrait être la clé de voute de l’édifice.
7. Le vivant se caractérise par : le renouvellement des organismes et êtres qui le composent et la diversité des espèces qui permet la régulation.
8. Nous avons intérêt à bien considérer les ressources épuisables et à veiller à réguler la démographie mondiale et les flux de populations.
9. Nous avons intérêt à tirer le meilleur profit du soleil, du vent et de l’eau.
10. Nous avons créé des pollutions qu’il faut impérativement réduire au plus vite.
11. Nous avons besoin d’une information fiable, de qualité et indépendante, tout en faisant diminuer le lobbying des grands groupes.
12. Le niveau technologique auquel nous sommes parvenus devrait nous pousser à une plus forte attention à des meilleures relations entre les humains, à ré-équilibrer villes et campagnes, à réinventer la démocratie.
Dans un deuxième temps nous pourrions tenter de nous mettre d’accord sur quelques sujets qui fâchent :
en voici une première liste : le nucléaire, l’islamisme, la souveraineté, le « court-termisme »…)
Enfin nous suggérons que nous élaborions ensemble, les fondements des règles qui permettraient de renouveler la démocratie et les modes électifs.

Didier FRADIN (Archipel Osons les Jours Heureux)

pardon de la longueur du texte 😉
Pardon aussi d’avoir loupé les premières étapes du processus, entre la COVID et deux phases d’anémie sérieuses, je me suis un peu isolé.
Je pose ça ici pour manifester l’inquiétude que j’ai à voir que, tout en prêchant le « renouveau » et le « autrement », j’ai l’impression qu’on s’évertue à pérenniser l’existant.
Bref, si ce Rex est une réunion de convergence des think-tanks gauche et écolo qui n’arrivent pas à comprendre que l’enjeu du futur proche est à saisir entre toutes les mains, et qu’on ne peut réduire l’action politique à la gagne sans gloire des élections nationales, (même si cela a une importance bien sûr), alors je passerai mon tour.
En tant qu’humains, originellement doués d’autodétermination, notre responsabilité dans le déroulement de l’actualité est principale, notamment face à la confusion qui y règne.
Pourtant, de façon générale, comme beaucoup de nos congénères, nous nous contentons souvent de commenter, sur la touche, les actions négatives, les erreurs, bref, les avatars du temps qui passe, et de nous en horrifier, comme si nous ne pouvions faire autrement que d’en subir les effets collatéraux. L’action politique devient de ce fait plus une réaction, et la cible facile de provocations à peine dissimulées. On condamne un gouvernement, le nôtre ou celui d’à côté, on pointe du doigt un personnage à abattre, qui serait à lui-seul source de nos échecs. Mais pourquoi tomber dans ces pièges pourtant bien connus ? On s’égare, on se disperse, et on en oublie, je crois, la cause première.
C’est toute une humanité qui doit, en coopération sincère, choisir entre la croissance de quelques-uns, qui n’ont aucune envie de lâcher leurs privilèges, et la vie libre et bonne de l’entièreté de ce qui vit sur cette planète. Ce n’est pas une mince affaire, et ce n’est pas une nouveauté, depuis 1789 cette polarité existe, et toutes les tentatives même violentes ont échoué à percer, se sont laissé récupérer par les sociaux-démocrates, les extrêmes, bolchéviques ou fascistes, ou ont été stoppées en plein essor par assassinats, guerres, crises, etc.. La guerre d’Espagne et l’assassinat de Rosa Luxembourg figurent parmi les témoignages criants que, tant qu’on peut « se payer » des armes efficaces, on peut tout se permettre. Là est le pouvoir, mortifère, des riches, qui n’en souffrent d’ailleurs d’aucun scrupule.
Et ça continue, tous ceux qui, dans le monde, tentent une politique vraiment « autrement », je pense au Rojava, ou à ce qui se passe avec difficultés à Barcelone, n'obtiennent que très peu d’intérêt et encore moins de soutien de nos démocraties.
Ce qui a changé, comme le souligne Bruno Latour, c’est qu’il ne s’agit plus d’une lutte des classes pour le partage des richesses issue de la production entre ceux qui possèdent et ceux qui travaillent, mais d’une nouvelle classe géo-sociale consciente des enjeux cruciaux que nous affrontons, et qui, malgré les différences idéologiques, sociales, générationnelles, va chercher la force du nombre pour affronter les bombes et les matraques de ceux qui n’ont aucun intérêt à laisser faire.
C’est tout un monde, toute une vision du monde à changer, qui ne s’accommode pas de réformes tranquilles sur un système qui a déjà failli.
Changer de Voie, imaginer le Futur : se poser les bonnes questions, avec Latour et Morin :
Tous les projets de rassemblement vers une transition sociale et écologique de ces dernières années ont échoué à satisfaire les espérances qu’ils portaient, à l’exception peut-être de la NUPES, qui reste malgré tout une alliance fragile au bénéfice d’une fragile victoire électorale… Echecs malgré tout porteurs de sens, d’enseignements, si toutefois l’on veut bien se donner la peine de les analyser comme tels.
C’est dans ce but qu’un Grand Rex, où seraient conviées « toutes » les initiatives ayant porté une vision de « Politique Autrement », et qui ferait le point sur les possibles futurs, a été évoquée. Mais l’organisation d’un tel projet demande de l’énergie, de la concentration, et de la détermination.
Quand je dis « toutes », des projets comme celui de Quitterie de Villepin, qui a axé sa candidature dans la deuxième circonscription de Paris, sur la création d’une assemblée locale délibérative sur le respect par la France des accords de Paris et des ODD . Ce projet, qui n’a pas porté de victoire à l’élection, a vu malgré tout la constitution et la délibération s’effectuer et offre, comme la convention citoyenne pour le climat, un trésor d’enseignements sur ce qu’on peut faire ou ne pas faire. Ce que fait Fréquence Commune au niveau des municipalités citoyennes, sans étiquette, est assez remarquable également, tout comme la résistance de personnes comme Corinne Morel Darleux.
Il me manque, dans les questions posées ici, la première, essentielle :
« C’est quoi pour vous, faire de la politique autrement ?».
Nous n’avons pas tous la même lecture, apparemment, de la « nouvelle classe écologique » qu’évoque Bruno Latour, pourtant cité en référence de la proposition initiale de REX. L’exemple du Rex écolo, qui, si j’ai bien compris, propose de remodeler l’écologie de partis pour l’adapter à une nouvelle stratégie de conquête, ce qui laisserait supposer que l’abstention record de ces derniers temps n’était qu’une question de marketing politique, est assez frappant dans ce sens.

S’il est clair que, lorsque Latour s’adresse (entre autres) aux militants et cadres des partis écologiques, c’est pour leur faire prendre conscience de l’échec annoncé de leur posture. Il précise que, dans l'état actuel des choses, nos opinions politiques sont associées au monde précédent.
« Vos opinions politiques ne nous intéressent pas" ajoute-t-il : elles sont associées à l'Ancien Régime climatique.»
Ce qui nous rapproche de l’appel d’Edgar Morin à changer de Voie, afin d’engager cette métamorphose civilisationnelle, qui n’a que faire d’un pragmatisme conservateur ou d’idéologies passéistes.
A voir, pour s’en convaincre, l’émission d’Arte ici présente :
https://www.arte.tv/fr/videos/106699-001-A/entretien-avec-bruno-latour-1-2/?fbclid=IwAR3Qy4SXI-Wfyvo4TYj0MGjxPbCmKd8Iz9JdiUGSzcSAueK4UNgwrbmQxk4
A partir de la minute 31:35 :
- Ce qu’il propose, c’est de redéfinir à quelles dépendances nous sommes attachés, individuellement, nous, ces « personnes » que Pierre Rosanvallon définit comme non réductibles à des « individus » statistiques, avec nos épreuves quotidiennes, là où nous vivons, avec les autres entités qui partagent notre lieu de vie.
C’est ce qui permettra de définir un territoire en repartant de la base. Il faut remplir des cahiers de doléance, comme en 1789, qui décrivent les injustices telles qu'elles sont vécues sur un territoire précis. Une fois rassemblées et synthétisées, après un travail patient de cartographie et de compréhension globale, il s’agit de proposer des modifications profondes de l'institution en accord avec ce que le peuple est en capacité de respecter.
« Il n'existe pas aujourd'hui de modèle de système "écologique", qui apporterait l'abondance, la liberté, le maintien de l'émancipation, et qui, néanmoins, serait capable de tenir dans l'enveloppe du maintien de l'habitabilité de notre environnement ». S’acharner à créer un programme d’écologie politique est voué à l’échec si ne travail ne s’appuie pas sur une vraie coopération avec les habitants de nos territoires, en application sincère, c’est-à-dire, sans présumer de ce qui va émerger. »
La question du moment, dans sa complexité, est :
« Qu'est ce qui se passe quand vous vivez en Bretagne, que vous dépendez du soja brésilien pour l'élevage du porc breton, et que vous ne pouvez ignorer ce qui se passe là-bas, quand vous voulez mettre de l’ordre chez vous ? »
La tâche politique devient bien différente : on ne traite plus de classes "sociales", mais de classes "géo sociales", de celles qui vont, ou non, s’affronter à ce casse-tête.
Le processus de « description », permet de sortir du "péché" de toute discussion politique, où l'on cherche toujours à monter au niveau supérieur de généralité, alors qu'il faudrait déjà simplement suivre le fil de nos dépendances, aussi loin qu'il nous entraîne. »
Au lieu de s’entêter à vouloir régir « par le haut » entre experts qui, jusqu’à présent, se sont toujours plantés, Il faudrait redonner de la "capacité" politique à chacun, et ce au plus petit niveau.
« Le grand n'est pas fait d'autre chose que le petit ».
Cette « classe écologique » à laquelle il appelle, se doit être fière d'elle-même, et doit se mettre en posture d’imaginer des alliances inédites, hors des polarités « droite-gauche », ou de la notion de progrès, qui n’a plus aucun sens aujourd’hui. Ce n'est pas une classe liée à la production, mais une classe culturelle. Les questions ne sont plus sur la production et la distribution des richesses, mais sur les choix liés à l'habitabilité.
De la même façon que la classe bourgeoise a imposé le libéralisme à la classe aristocratique lors de la Révolution, il faut une classe écologique qui fixe à la classe bourgeoise les limites qu'imposent l'habitabilité.
Cette classe dira : "nous sommes plus « rationnels » que la bourgeoisie productiviste et libérale, qui a foutu en l'air l'habitabilité de notre planète."
  • Et, de façon plus radicale, à la minute 46:01
- L'alignement qui disait : « je suis de ma classe, j'ai des intérêts, il y a des partis qui les représentent, il y a des programmes, je vote », a disparu. Le chiffre de l'abstention en est témoin.
Il ne s'agit donc pas de s’entêter à recréer ou réveiller un parti qui prétend occuper l’Elysée, ça ce sont les illusions des écologistes.
Il faut repartir "par le bas", c'est à dire, par le fait qu'une société civile se reconstitue sa propre définition du territoire et de ses appartenances, ensuite ses intérêts communs, et ensuite ses associations de classe, et ensuite ses partis et finalement aller chercher ses votes.
L'époque formidable que nous vivons, et qui nous écrase aussi un peu, doit être vue comme un changement de cosmologie.
Il faut tuer l'idéologie du décollage (vers Mars, vers ailleurs), pour celle de l'atterrissage, chez nous, sur une terre nouvelle, et s’interroger sur avec quel peuple, sur quelle terre allons-nous imaginer cela...
Pour conclure, et à titre personnel, je suis prêt à m’engager dans un travail qui respecterait ces termes, qui commence donc par l’écoute et l’analyse des ingrédients de ceux qui ont œuvré à une vision de politique « autrement », à condition que l’ouverture en soit large, tant idéologiquement que socialement, transgénérationnelle, et patiente.
Je suis un peu étonné de voir que, prétendant changer de voie politique, on s’empresse de fixer les règles, les conditions, bref, on continue de penser pour les autres.
Le changement, la métamorphose nécessaire, ne se fera pas par les urnes, qui, on le constate, donne la main aux populistes de tous poils ou aux opportunistes dont le projet n’est pas de changer l’orientation de notre société, mais comme le dit Latour, et il n’est pas le seul, par l’implication et la capacitation des habitants qui vivent sur notre planète.
Commencer à penser que l’on n’a pas raison pour tous les autres, et que le plus grands des Communs est le Vivant sur cette planète, c’est déjà une autre façon d’envisager le politique.
« Tout le monde le dit, mais pourquoi personne ne le fait ? » (Albert Dupontel )
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C’est un peu long, mais simple et juste.
(pardon pour les pubs, en même temps, le contraste est amusant)
Ceci posé, je ne suis pas prêt à m’engager dans un processus qui s’arrange avec l’existant, et qui ne se donnerait pas les chances d’aboutir à une prise de conscience aiguë de la situation à laquelle nous sommes confrontés, et qui reproduirait les mêmes erreurs que le passé, auxquelles on a assisté, notamment dans le cadre de la « primaire populaire ».




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