Hommage

Claude Alphandéry

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Claude Alphandéry nous avait fait l'honneur en 2016 de préfacer avec Christiane Hessel et Edgar Morin le livre "Et nous vivrons des jours heureux" (Actes Sud). Voici cette préface où il revient avec lucidité sur le programme du CNR et l'importance d'une appropriation citoyenne de son actualisation :

"Il appartient aux citoyens ..." préface de "Et nous vivrons des jours heureux"


Regardant trois générations en arrière, revisitant la Résistance, les jeunes citoyens des “Jours heureux” entendent réactualiser le programme du CNR, le Conseil national de la Résistance. Un texte qu’ils jugent fondateur par son contexte d’invasion de la patrie et d’une démocratie à repenser et à régénérer, par sa méthode d’élaboration dans la clandestinité, par son contenu riche de propositions pour une démocratie sociale.

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Les “Jours heureux” de 2016 ont l’ambition, tout en s’inspirant du souffle et des propositions de ce programme, de l’actualiser ; ils prennent en compte les profonds changements survenus et souhaitent faire vivre un nouveau texte fondateur. Bien sûr, le contexte n’est pas le même. Ni invasion militaire, ni jusqu’ici l’abandon déclaré de la démocratie, mais un envahisseur omniprésent : la toute-puissance de la finance, de l’intérêt, du calcul. Et les avancées sociales auxquelles le CNR avait contribué sont battues en brèche jusqu’au risque d’une régression totalitaire et d’un effacement de la démocratie.

De plus, la brusque accélération des menaces écologiques, la démesure d’une économie survoltée par les nouvelles technologies, la mondialisation et la financiarisation ont des effets destructeurs sur l’environnement, le lien social et l’emploi.
Dans une situation qui n’est certes pas celle des années de terreur de la France occupée et trahie, mais qui est lourde d’inquiétudes et d’indignation, il est naturel et juste de se reporter au programme du CNR, comme il est nécessaire de l’adapter aux grandes transformations.
La méthode de diffusion de ce programme ne saurait non plus être la même entre les réseaux sociaux d’aujourd’hui, gorgés d’informations numérisées, et les difficultés, les dangers d’alors d’une diffusion clandestine. Mais des formes orales de communication s’étaient largement développées dans les maquis où se côtoyaient et discutaient jeunes paysans, ouvriers, étudiants de toutes origines. Ceux-ci se constituaient souvent en clubs de citoyens, et ont inspiré et validé le contenu du programme du CNR comme le feront demain les citoyens sur le programme des “Jours heureux”.

Son contenu allait au-delà d’une organisation des pouvoirs protégeant les libertés ; le programme du CNR jetait les bases d’une démocratie sociale par l’extension des droits des travailleurs, par une redistribution du revenu national et la sécurité pour les plus faibles, par la mise à l’honneur et l’amélioration des services publics.

Propositions suffisamment claires, rigoureuses et innovantes pour avoir enclenché des avancées notables qui ont été en partie annulées par les abus de l’économie financière. Mais des propositions qui méritent d’être actualisées : elles reposaient essentiellement sur l’intervention de l’État sans valoriser suffisamment l’action des citoyens. Il est vrai que la France avait une forte tradition colbertiste et que l’exemple soviétique centralisateur paraissait encore prometteur. Et l’on ne peut omettre les oublis de ce programme, très révélateurs de l’état d’esprit de l’époque : aucune ligne sur les droits des femmes ; une expression minimale sur ceux des populations colonisées sans mettre en cause le fait même de la colonisation ; rien sur la reconstruction d’une Europe dont l’avenir restait prisonnier du sort réservé à l’Allemagne.

Le souffle, l’importance historique, le contenu autant que les lacunes du programme du CNR ouvrent un large champ d’action démocratique pour s’inspirer de ce grand texte. Et pour l’actualiser en prenant en compte les fortes évolutions démographiques, géopolitiques, économiques, écologiques et les nouvelles réponses des citoyens qui s’indignent et refusent de se soumettre aux puissances de l’argent, entendant comme leurs aînés rénover la démocratie.

Ce livre issu d’une déjà vaste consultation est le premier temps d’un processus de régénération démocratique à laquelle participent nombre de mouvements tels que les Jours heureux, les États généraux du pouvoir citoyen, les Convivialistes, le Collectif Roosevelt…

Il appartient aux citoyens, dans une période où les échéances électorales ne sauraient les laisser indifférents, de transformer cet essai par la créativité de leurs commentaires, leurs critiques et leurs propositions en un brûlot d’indignation et d’espoir, en une œuvre de civilisation.

Claude Alphandéry, Christiane Hessel et Edgar Morin