Action "Place à l'humanité !"

Intervention d'Edgar Morin lors de l'Université Utopia 2023


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Le samedi 28 octobre à Sète, lors de la plénière de l'Université 2023 du mouvement Utopia Edgar Morin (102 ans ...) est intervenu devant les 250 participants. Extraits de son intervention :


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Edgar Morin répondant aux questions de Patrick Viveret et Camille Etienne

Edgar Morin
Je pense que c'est la gravité des périls qu'il faut montrer, parce que c'est à partir de cette gravité que nous pourrons avoir en nous la force de pouvoir résister et les affronter.
Le mot "Espoir" vient à la fin. Au début, il y a résistance, vigilance, conscience, action.
Je crois que c'est en ces termes qu'il faut poser le problème.
(...)
Nous avons affaire aujourd'hui à une multiplication de textes aussi bien sur les problèmes français, sur les problèmes d'Ukraine, sur les problèmes de la guerre en Israël. Cette multiplicité aujourd'hui n'est pas féconde : il faut relier ces évènements.
A mon avis la chose capitale c'est la reliance entre tous ceux qui sentent le péril fondamental.
(...)
Maintenant, il nous faut un texte dense, clair, explicite, énumérant les problèmes
(comme dans ce texte "Place à l'humanité !")
(...)
Nous vivons une polycrise, un crise aux aspects multiples ! Tous ces aspects différents se sont reliés.
Il est impossible de les considérer séparément.
Aujourd'hui ni les problèmes sanitaires, ni les problèmes de vie quotidienne, ni le problème de la conscience, ni le problème de la pensée, ni les problèmes de la politique ne peuvent être disjoints : il faut que tout ceci soit clairement montré.
(...)


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Patrick Viveret
(...)
Aujourd'hui on peut dire que nous sommes véritablement dans une défaite de l'Humanité.
Que peux-tu nous dire, toi, qui, avec Stéphane Hessel, a été un des acteurs qui a cherché à travailler à des logiques de paix ?
(...)
Comment ressens-tu cette situation absolument tragique ?

  • Edgar Morin
Comme tu l'as dit je ressens cette situation de façon tragique mais surtout je ne vois pas la voie de la solution.
Prenons le problème de la Palestine qui est colonisé depuis des dizaines d'année, [un problème qui] semblait être entièrement endormie, at qui s'est aujourd'hui réveillé.
La solution est dans une décolonisation. Mais il ne suffit pas de le dire : comme il y a 800 000 colons en Cisjordanie, on a un [gouvernement ?] hostile et même agressif à l'égard des palestiniens.
Comment peut-on imaginer un état palestinien avec 800 000 ennemis en son sein ?
Et comment peut-on imaginer qu'Israël tel qu'il est actuellement dans cette fièvre anti-palestinienne retire ces 800 000 colons ?
Il y aurait une solution, ce serait une pression internationale des puissances qui puissent influencer Israël.
Mais la première puissance qui puisse influencer, les Etats-Unis, on voit qu'elle ne joue qu'un rôle modérateur, sinon absolument minime.
(...)
La Russie intervient, mais pas n'est pas tellement qualifiée puisque elle-même a attaqué l'Ukraine ...
La Chine, oui, mais semble distante.
Comment le réveil international peut-il se faire pour qu'il y ait cette pression ?

Je crois actuellement que nous devons rester lucide, nous devons éviter les vérités à sens unique.
Nous devons éviter de penser que les crimes du Hamas occultent les crimes que commet actuellement Tsahal, que les crimes du Tsahal occultent les crimes du Hamas.
Nous sommes dans un moment où partout règnent des vérités unilatérales qui sont mensongères parce que justement elles oublient l'autre vérité, antagoniste, et qui pourtant coexiste avec elle.

Nous, nous avons à résister par la pensée.
D'ailleurs je resonge à une époque révolue, qui fut celle de la Résistance, elle était d'abord une résistance de pensée. Cela a été une résistance de dire
"non, on accepte pas cette situation !".
Et à partir de cette résistance de pensée, à partir de cette résistance au nazisme, se sont créés des mouvements de résistance d'abord extrêmement minoritaires, et c'est la conjecture mondiale qui leur a permis de se développer.

Donc nous sommes à un moment d'obligation de résister en esprit au délire, au manichéisme, aux formes de pensées réductrices, quantitatives qui dominent.

Aujourd'hui c'est la lutte de l'esprit, préliminaire à toute autre action.

Et si nous faisons un texte de validité planétaire acceptable par des responsables intellectuels de tous les continents, nous aurons apporté une première pierre dans un processus.

Maintenant nous ne savons pas ce qui va se développer dans les jours et dans les semaines qui viennent.
Nous devons donc maintenant rester sur le plan des principes globaux, et ne pas les oublier.

Si on prend par exemple la question palestienne (...), la solution existait peut-être il y a quelques années dans qu'il n'y avait pas 800 000 colons en Cisjordanie. Cette solution actuellement n'est pas possible.
Dans cette époque d'hystéries collectives où des hystéries antinomiques s'entrecombattent, il est extrêmement difficile et en même temps extrêmement nécessaire de garder à la fois la raison et le sentiment.
Etre rationnel dans cette histoire, c'est aussi être humain.
(...)
Il y a eu la destruction du ghetto de Varsovie et de toute sa population en 1943, évènement qui est resté inaperçu à l'époque, mais qui était un premier exemple de destruction totale d'une ville et de sa population. Nous avons vu des massacres, des bombardements sur des villes allemandes mais qui massacraient des civils. Nous avons vu des choses terribles, et nous allons encore voir d'autres choses terribles !
Mais là-dessus il faut unir les forces d'humanité comme celles qui vous indiquez dans le Manifeste.

Face à quelque chose qui nous dépasse dans nos possibilités d'intervention, nos esprits doivent être capable de []les] concevoir et de voir dans toute leur horreur et dans toute leur perspective, qui peuvent être négatives.

Mais depuis très longtemps, je dis que mon espoir c'est l'improbable parce que j'ai vécu des moments où le salut est arrivé par des évènements totalement improbables, que ce soit pendant la seconde guerre mondiale, pendant la guerre d'Algérie, la guerre de Yougoslavie, etc.

Donc je dis : l'avenir n'est jamais écrit d'avance !
Si les perspectives sont sombres, l'avenir n'est pas déterminé irrévocablement.
C'est une conscience que nous devons avoir et que nous devons garder.