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Géniales poussières d'étoiles

Rédacteur Thierry SALOMON
Résumé Ils nous ont quitté presque en même temps. Tous deux astrophysiciens, chercheurs et pédagogues, humanistes et lanceurs d’alerte. Tous deux d’une curiosité inlassable face aux mystères de l’Univers. L’un est très connu, Hubert Reeves. L’autre, François Roddier, le sera demain.
Billet Après une carrière d’astrophysicien, François Roddier a écrit un livre magistral « Thermodynamique de l'évolution. Un essai de thermo-bio-sociologie » (Parole éditions, 2012). Un livre certes ardu, mais où de page en page sa fulgurante pensée pétille comme une pluie d’étoiles filantes. Avec lui on comprend que tout obéit au second principe de thermodynamique, celui qui spécifie (je simplifie !) que dans un système clos toute transformation dissipe le niveau d’énergie de façon irréversible. Tout, car François Roddier démontre que ce qui est vrai pour l’énergie l’est aussi pour les galaxies, la génétique, la monnaie, les datas numériques, la société de surconsommation, la guerre … et la chute de l’Empire Romain.

Dès lors il nous alerte : il nous faut impérativement diminuer notre taux de dissipation de l'énergie, de matières et de produits inutiles. Renoncer au veau d’or de la croissance immodérée. Dépasser le dogme dissipateur de la compétition pour, d'un commun accord, passer à la coopération.
La figure tutélaire d’Hubert Reeves nous est plus familière. Une barbe de druide, une voix unique et chantante de vieux sage qui serait tombé sur Terre à bord d’une facétieuse météorite. Lui aussi nous a raconté une autre et incroyable vérité scientifique : nous sommes tous des poussières d’étoiles.
Tous nos atomes, sans exception, ont été créés au sein d’incroyables forges stellaires. Chacun des 7 x 10^27 (7 milliards de milliards de milliards !) atomes qui composent notre corps ont été formés soit quelques minutes après le Big Bang, soit dans le cœur d'étoiles mortes bien avant la naissance du Soleil. La moitié des atomes de notre corps proviendraient même de l'univers au-delà de notre galaxie, la Voie lactée. Nous sommes donc tous, en partie, des migrants. Des migrants intergalactiques …

Poussières d’étoiles repartis vers les étoiles, Hubert Reeves et François Roddier nous laissent une vertigineuse leçon d’humilité et de sagesse : nous, les humains qui nous croyons toujours être des dieux, devons enfin comprendre que le futur de la vie sur Terre est lié aux lois de la thermodynamique, tant pour le climat que pour la matière et l’énergie. Mais tout n’est pas déterminisme : ces lois fixent les limites à l’intérieur desquelles nous pouvons et devons agir.
Je fus frappé, ayant eu la chance de les rencontrer tous les deux, de leur simplicité et de leur gentillesse, génies bienveillants toujours capables, au soir de leur vie, d’émerveillements enfantins face au spectacle du ballet des galaxies et de l’oiseau sur une branche.
Ils ont su éclairer les ténèbres sidéraux, peuplés de stupéfiants objets célestes, emplis de matière noire et sombre, régis par des forces encore mystérieuses. Et réussir, pour notre bonheur, à relier astrophysique et poésie comme dans ces vers de René Char : « Dans nos ténèbres, il n’y a pas une place pour la Beauté. Toute la place est pour la Beauté ».

Billet d'humeur à paraître dans la revue 'La Maison Ecologique" n° 138 nov-déc 2023 - v 231023c