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"Il est grand temps"


Appel présenté à l’initiative du Mouvement des convivialistes

21 mars 2023


Le passage de la loi sur les retraites au forceps du 49-3 a été ressenti par la grande majorité des Françaises et Français comme un nouveau coup de boutoir porté à la démocratie. La responsabilité du gouvernement est immense, mais c’est l’ensemble du système politique français qui se retrouve au bout du compte discrédité. Il est donc grand temps que la société civique - associations, syndicats, réseaux de bonne volonté citoyenne etc.-, prenne en charge elle aussi les enjeux politiques dont elle est porteuse.

Le spectacle donné par la classe politique française est particulièrement inquiétant. Il faut le dire, non pas pour entonner la musique délétère du « tous pourris » ou pour appeler à on ne sait quel chambardement de la démocratie représentative et du système des partis, mais pour presser ceux-ci de se ressaisir, de sortir de leur nombrilisme et de s’ouvrir aux actions et aux analyses de la société civique organisée ou des intellectuels engagés. Et pour que, réciproquement, intellectuels et réseaux civiques assument leurs responsabilités politiques. La politique est une affaire trop sérieuse pour l’abandonner à ses seuls professionnels, à ceux qui vivent de la politique autant ou plus, parfois, que pour la politique.

L’écart se creuse toujours plus entre les Français(e)s et leurs institutions politiques. L’incapacité de ces dernières à dire où nous en sommes et où nous devrions aller, alimente une montée sans fin de l’abstention et un désintérêt massif des jeunes pour la politique. Que faire face au réchauffement climatique et au franchissement des limites planétaires ? À la dégradation de nos services publics ? À la désindustrialisation de la France qui induit un déficit abyssal de notre balance commerciale ? À la sécession des plus riches toujours plus riches ? À l’impuissance relative de l’Europe face aux empires ? À l’éclatement de notre société en réseaux numériques qui s’ignorent ou se haïssent, etc. ?

Sur toutes ces questions si vitales, la classe politique donne le sentiment de ne pas vouloir voir ou de ne pas savoir proposer grand-chose. Elle oscille entre l’évocation d’hypothétiques révolutions imaginaires ou la mise en avant de mesures techniques censées tout régler d’un seul coup d’un seul à condition qu’on les explique bien à un peuple supposé mal comprendre. Le vide de la pensée politique se réduit alors au pur calcul économique.

De ces dysfonctionnements, le débat actuel sur les retraites aura donné une illustration caricaturale. Espérons qu’elle serve de révélateur salutaire de l’épuisement de notre système politique. Dans cette affaire, qui se sera montré à la hauteur des enjeux ? Le gouvernement a perdu tout crédit en ne soumettant pas au débat les éléments d’information et de prévision statistique dont il disposait, en se contredisant, et en faisant reposer une part importante du poids de sa réforme sur les plus faibles. Le président de la République en préférant le forcing solitaire à la concertation. La droite en défendant l’inverse de ce qu’elle prônait hier. Le RN engrange en ne disant et ne faisant rien, et en profitant mécaniquement des erreurs des autres partis qui lui ouvrent un boulevard. Une partie de la NUPES, empêtrée dans les surenchères, s’est mise dans la situation d’apparaître comme celle qui a rendu impossible tout débat au Parlement et qui, du coup, un comble, s’est retrouvée en opposition aux forces syndicales qu’elle est censée défendre. L’impression qui en ressort est que personne n’écoute personne ou n’argumente. Lorsque des mesures sont proposées, leurs auteurs semblent se soucier plus de l’avantage électoral qu’ils pourraient en retirer que de leur cohérence avec d’autres mesures ou de leurs effets pervers possibles. Que ce soit à l’intérieur des partis ou dans les rapports entre eux, la concurrence de tous avec tous enferme chacun dans le quant à soi et le court-termisme. Seul compte l’avantage électoral immédiat présumé.

Comment sortir de cette impasse éminemment dangereuse et qui pourrait conduire, comme on l’a vu dans d’autres pays, à voir la France basculer elle aussi dans une forme de populisme d’extrême droite ?
Il n’existe évidemment aucune recette magique. Mais il serait criminel de ne pas tenter quelque chose. Le nœud du problème tient notamment au repli sur soi de la classe politique, à son incapacité à entrer en dialogue effectif avec les forces actives de la nation et au court-termisme qui en résulte. Symétriquement, il renvoie à la difficulté de ces mêmes forces vives à penser et à peser politiquement. Il est donc urgent de construire des passerelles et des espaces de débat communs. Ceux qui y participeraient s’engageraient à respecter une éthique de la discussion et à se montrer davantage soucieux du bien commun que de leurs intérêts individuels, partidaires ou organisationnels à court terme.

Après la seconde guerre mondiale la « planification à la française » a permis d’associer avec succès experts, chefs d’entreprise, syndicats etc. dans l’invention d’un avenir commun. Nous appelons tous ceux qui partagent notre diagnostic, syndicalistes, politiques, intellectuels, militants associatifs, entrepreneurs, fonctionnaires, etc. à devenir parties prenantes d’un processus de coordination concertée des actions citoyennes de transition sociale, écologique et démocratique. Il pourrait se présenter sous la forme d’assemblées auto-organisées du long terme, locales, régionales et nationale, seules à même de rendre possible l’indispensable transition écologique dans le plein respect de la justice sociale.
L’impasse dans laquelle nous a enfermés le non-débat sur les retraites (et, donc, entre autres, sur le statut du travail) atteste de l’urgence de faire émerger des espaces de dialogue et de réflexion partagée entre militants politiques et réseaux civiques. Et, dans l’immédiat, d’organiser au plus vite, par exemple, à partir de cette question devenue si centrale, un référendum d’initiative partagée (RIP).
Les signataires de ce texte s’engagent à tout faire pour réunir des acteurs politiques, syndicaux, civiques et intellectuels capables de nous aider à sortir de l’ornière dans laquelle la France s’enlise et, notamment, à faire de ce RIP le point de départ d’un renouveau démocratique.


Premiers signataires :

Claude Alphandéry résistant, créateur du Labo de l’ESS
Geneviève Ancel, cofondatrice des Dialogues en Humanité
Robert Boyer, économiste
Alain Caillé, sociologue, porte-parole des convivialistes, revue du MAUSS
Denis Clerc, économiste
François Dubet, sociologue
Anne Hessel, Archipel Ecologie et solidarités
Jean-Baptiste de Foucauld, co-fondateur du Pacte civique
Delphine Lalu, membre du CESE
Dominique Méda, philosophe et sociologue
Pierre Rosanvallon, professeur émérite au Collège de France
François Soulage, ancien président du secours Catholique et du Collectif Alerte
Patrick Viveret, philosophe et essayiste, archipel de l’écologie et des solidarités.