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"Lutte de reconnaissance et valeurs universalisables" par Alain Caillé


La planète entière est devenue le théâtre de gigantesques luttes pour la reconnaissance, ou plutôt de reconnaissance.
Dans la lutte pour la reconnaissance on s’efforce de voir sa valeur reconnue par un tiers ou par une instance dont on reconnaît la valeur éminente.
Dans une lutte de reconnaissance on conteste cette éminence en tentant de se placer dans la position non pas du reconnu mais du reconnaisseur, de celui qui incarne la valeur suprême.

Pendant trois siècles l’Occident a dominé le monde entier. Devenant ainsi enviable et envié, reconnaisseur en dernière instance, c’est lui qui a distribué à tous les peuples de la terre la reconnaissance, positive ou négative, le mépris principalement, plus ou moins hiérarchisé, et le racisme.
Cette hégémonie de l’Occident est aujourd’hui contestée et menacée de toutes parts. Les anciens empires autrefois sûrs de leur valeur et de leur puissance, humiliés et bafoués par l‘Occident, relèvent la tête. La Chine, en premier lieu, bien sûr, qui est la plus proche d’accéder à l’hyper-puissance économique et militaire ; la Russie qui veut à tout prix récupérer ce qu’elle peut des lambeaux de son empire perdu, à commencer par l’Ukraine ; La Turquie qui n’a pas oublié qu’elle a dominé une grande partie du monde musulman. L’Inde aussi. Les pays moins puissants, ceux qui n’ont dominé qu’à petite échelle ou qui ont toujours été dominés, essaient de tirer leur épingle du jeu en monnayant leurs allégeances à géométrie variable à des reconnaisseurs en concurrence les uns avec les autres.
Tous, tendanciellement, convergent dans le ressentiment envers l’Occident. Et plus particulièrement, pour des raisons différentes, envers les Etats-Unis et, secondairement, la France qui porte le poids d’une décolonisation tardive et mal gérée. Dans cette lutte de plus en plus tendue entre le Reste du monde (le Sud global) et l’Occident (le Nord global), le conflit inexpiable entre Israéliens et Palestiniens porte à leur point culminant les haines et les ressentiments. Il apparaît comme une sorte de condensé de toutes les luttes pour et de la reconnaissance qui se sont déployées depuis plusieurs siècles. C’est comme si le destin de l‘humanité se jouait sur quelques dizaines de milliers de kilomètres carrés.

Prenons acte, donc, de cette haine de l’Occident, qui enfle jour après jour.
Une haine qui est aussi haine de la démocratie et de l’humanisme au motif que leur invocation est le fait de l’Occident et que celui-ci ne les respecte guère.
Mais n’oublions pas que la guerre menée à l’Occident par les empires résurgents ou par les Etats écrasés n’ose pas se dire anti-démocratique. Elle se présente comme le moyen d’une démocratie plus vraie et authentique même si les autocrates qui la mènent n’en croient évidemment pas un mot. Et n’oublions pas non plus que c’est bien au nom des droits de l’homme et de la liberté d’expression que les peuples du Sud global se révoltent contre eux. Sans succès jusqu’à présent. C’est bien au nom de valeurs formulées en Occident que le Sud global est désormais en lutte ou en guerre contre lui. La question clé est donc de savoir comment opérer le partage entre ce qui dans ces valeurs est spécifiquement occidental et ce qui est réellement universalisable. Entre ce qui a permis à l’Occident d’asseoir sa domination, et ce qui pourrait permettre de faire advenir un monde réconcilié avec lui-même et avec la Nature.

Alain Caillé
Novembre 2023

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