Scnario_Clever.jpg

Le scénario énergétique CLEVER pour l'Europe

Rédacteur Thierry SALOMON
Billet Article de Périne Mouterde, Le Monde daté 7 juin 2023


Inverser la tendance pour faire en sorte que la sobriété soit le point de départ, et non la variable d’ajustement, des politiques climatiques. Tel est l’objectif de l’association française négaWatt et de ses partenaires, qui ont présenté, lundi 5 juin depuis Bruxelles, un nouveau scénario de transition énergétique européen. Grâce à la sobriété, mais aussi à l’efficacité et aux renouvelables, cette trajectoire, baptisée Clever (« A Collaborative Low Energy Vision for the European Region »), entend proposer une voie pour décarboner l’Europe tout en répondant aux exigences en matière de sécurité d’approvisionnement et de soutenabilité du système (consommation des ressources, protection de la biodiversité…).

Pour y parvenir, négaWatt et ses vingt-six partenaires (universités, think tanks, centres de recherche, ONG…) de vingt et un pays européens placent au centre de leur modélisation la question de la demande. « Historiquement, les politiques pour le climat se sont concentrées sur l’offre, rappelle Stephane Bourgeois, responsable des politiques européennes à négaWatt. Peu à peu, on a essayé de pousser pour que l’efficacité énergétique soit prise en compte. Aujourd’hui, pour que l’Union européenne [UE] atteigne ses objectifs, il est temps d’ajouter un levier et que la sobriété passe au premier plan. »

Jusqu’à présent, les progrès en matière d’efficacité ont été en grande partie annulés par l’absence d’efforts de sobriété : les voitures consomment par exemple moins de carburant, mais sont aussi toujours plus grosses, plus lourdes et parcourent plus de kilomètres. Or, au cours des vingt prochaines années, l’UE va devoir faire deux fois plus pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre que ce qu’elle a réalisé lors des trente dernières années. La crise énergétique inédite de l’hiver a aussi mis au centre de l’attention le sujet de la sobriété, faisant chuter la consommation de gaz (– 17,7 % entre août 2022 et mars 2023, selon Eurostat) et d’électricité au sein de l’UE.

Baisse de la consommation de 55 %

Après quatre années de travaux et en se fondant sur une trentaine de scénarios nationaux, les auteurs du rapport publié lundi estiment possible de viser une baisse de la consommation d’énergie finale de l’UE de 50 % à 55 % en 2050, par rapport à 2019 – en France, la stratégie nationale bas carbone prévoit déjà une diminution de 40 % de la consommation d’énergie en trente ans. Les efforts de sobriété contribueraient à hauteur de 20 % à 30 % à cette baisse, le reste étant lié à l’efficacité. Les secteurs du bâtiment, des transports et de l’industrie seraient les principaux concernés.

« Pour nous, la sobriété ne consiste pas à demander aux citoyens de modifier leurs comportements, mais bien à mettre en place les politiques et les infrastructures pour que les consommateurs puissent changer leurs pratiques, insiste Stephane Bourgeois. Quand on interroge les cyclistes à Copenhague, au Danemark, la majorité disent prendre leur vélo parce que c’est plus facile et plus rapide, pas pour des raisons écologiques. »

Une fois les besoins définis, les organisations du réseau Clever se sont penchées sur les moyens de production nécessaires. Elles estiment qu’un mix 100 % renouvelables pourra permettre de répondre à la demande à l’horizon 2050, en s’appuyant en premier lieu sur l’éolien terrestre et en mer, puis principalement sur le solaire photovoltaïque et la biomasse. « Les cibles à 2030 en matière de renouvelables sont déjà très ambitieuses et n’ont pas besoin d’être rehaussées, mais elles doivent être mises en œuvre à l’échelle nationale », expliquent les auteurs du scénario.
Peser sur les politiques européennes

Concernant les bioénergies, la trajectoire prévoit essentiellement une hausse de la production de biogaz à partir de déchets et de résidus de culture, sans terres arables dédiées. La biomasse extraite des forêts demeure constante. Alors que plusieurs pays européens ont annoncé leur intention de se tourner vers le nucléaire pour décarboner leur économie, les membres de Clever notent que les projets de nouvelles centrales ne pourront contribuer à réduire les émissions avant 2040.

Leur trajectoire permettrait de réduire les émissions nettes de gaz à effet de serre de l’Europe de 90 % d’ici à 2040, tout en limitant les objectifs d’absorption du carbone par les forêts, leur rôle en tant que puits de carbone étant fragilisé par les effets du dérèglement climatique. Ce scénario, s’il était appliqué, serait également compatible avec l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris pour le climat, qui vise à limiter le réchauffement à 1,5 °C.

Avec cette proposition, ce réseau d’organisations entend peser sur les politiques énergétiques et climatiques européennes qui seront décidées au cours des prochaines années. Alors que l’adoption du plan « Fit for 55 », visant à atteindre une baisse de 55 % des émissions en 2030, est en train d’être finalisée – différents textes sont encore en cours de négociation –, l’UE va devoir s’atteler rapidement à de nouvelles cibles pour l’horizon 2040. « L’Europe a besoin de lancer un nouveau cycle, la Commission a lancé des consultations sur 2040… Ce scénario arrive à un moment intéressant et apporte une vision claire sur ce qu’il faudrait faire à cet horizon, en adoptant une approche systémique », insiste Stephane Bourgeois.