Pirogue "TERRA"

Documents et contributions sur l'avenir des Nations Unies


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Texte de Robert Simon


Robert Simon est membre du bureau de la commission transnationale, membre du bureau de la commission paix et désarmement
robertsimon7500 (at) gmail.com
8 février 2024

L'année 2024 pourrait être l'année du renforcement de l'ONU.

L'Organisation des Nations Unies a 78 ans. Un age vénérable. Mais elle a besoin d'être dynamisée.
Les objectifs de l'ONU étaient ambitieux. Elle réalise chaque jour de grandes choses en particulier à travers ses agences mais son bilan dans sa mission première, le maintien de la paix, n'est pas satisfaisant notamment à cause du conflit entre les grandes puissances qui disposent du pouvoir de bloquer les décisions du conseil de Sécurité.
L'ONU en est consciente. C'est pour cela qu'elle prépare le Sommet de l'Avenir. Le Sommet de l'Avenir les 22 et 23 septembre 2024.
Depuis 1945 le monde a changé : il y avait 58 états pour la création de l'ONU. Du fait à la décolonisation il y en a 193 aujourd'hui. Internet n'existait pas. Les transports internationaux étaient bien plus lents. Nous n'avions pas conscience du réchauffement climatique ou des limites de la croissance.
La plupart des problèmes de notre pays ont une dimension internationale aujourd'hui. Nous avons besoin d'une gouvernance mondiale plus forte, plus efficace, plus démocratique. Tout en réaffirmant la nécessité de la subsidiarité. La question de la souveraineté des états a évolué .
Comment le Sommet de l'Avenir se prépare til ?
L'Assemblée Générale des Nations Unies a confié la préparation du Sommet de l'Avenir à deux pays : l'Allemagne et la Namibie. Ils ont proposé un premier brouillon de résolution en fin janvier 2024. C'est plein de bonnes intentions mais avec peu de propositions pour réformer le fonctionnement.
L'Organisation des Nations Unies, consciente que la société civile est souvent plus innovante que les Etats et qu'elle a souvent à cœur de défendre les intérêts de l'humanité ( y compris des génératitons futures) et non pas ceux des états, a décidé d'organiser une conférence des sociétés civiles mondiales début mai à Nairobi au Kenya. Combien d'associations françaises vont elles préparer cette occasion d'exprimer leurs souhaits de voir évoluer l'ONU ? Combien de partis politiques français vont ils se pencher sur cette question majeure pour l'avenir de l'humanité ?
Ce Sommet est une occasion unique pour notre génération. Ce n'est pas tous les ans que l'ONU accepte de remettre en chantier son organisation et son fonctionnement. Les deux conflits mondiaux avaient fait comprendre le besoin de plus de multilatéralisme, de plus de concertation et de négociation entre les états. Faudra t il attendre le prochain conflit mondial ou la prochaine catastrophe mondiale pour que les états acceptent de coopérer plus et mieux entre eux ?
Il serait bon que les Ecologistes apportent leur vision d'un monde qui respecte mieux ses idéaux. La Charte des Verts Mondiaux appelle à une meilleure gouvernance mondiale. Quelles réformes pourrions nous proposer ?
  • 1) augmenter le nombre de membres non permanents du Conseil de Sécurité pour y faire entrer plus de pays du Sud
  • 2) encadrer le droit de veto des membres permanents
  • 3) Accroitre les pouvoirs de l'Assemblée Générale
  • 4) Accroitre les pouvoirs du Secrétaire Général
  • 5) Créer une assemblée parlementaire des Nations Unies
  • 6) Impliquer plus la société civile dans le travail de réflexion et de suivi de l'ONU
  • 7) réformer la gouvernance des institutions financières internationales
  • 8) renforcer la justice internationales
  • 9) La sécurité de l'humanité devrait remplacer la sécurité militaire dans les priorités du Conseil de Sécurité
  • 10) Créer une agence mondiale de l'envrionnement.
Trois propositions :
  • une résolution lors du Conseil Fédéral d'avril
  • un question au gouvernement sur ses propositions pour le Sommet de l'Avenir et sur son action pour que le débat sur la réforme de l'ONU s'ouvre dans notre pays
  • l'envoi de 2 personnes à la Conférence de Nairobi dans la délégation des Global Greens
Pour plus d'informations sur le sommet de l'avenir :
https://www.un.org/fr/common-agenda/summit-of-the-future https://www.un.org/fr/conf%C3%A9rence-de-la-soci%C3%A9t%C3%A9-civile-des-nations-unies-2024






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Texte en réponse de Jean Fabre


Jean Fabre est ancien directeur adjoint du PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement) et l’un des principaux animateurs des "Dialogues en humanité".

Si nous voulons renforcer l’ONU - ce qui est non seulement souhaitable, mais nécessaire -, il importe de bien comprendre ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. De plus, il ne suffit pas d’avoir des idées sur ce que la nouvelle ONU devrait être, mais de comprendre quel consensus peut être trouvé entre les Etats dans le contexte actuel où les dynamiques conflictuelles abondent dans de nombreux domaines ce qui rend la tâche gigantesquement difficile. Sans ce réalisme, toute tentative de réforme risque de déboucher sur une régression, voire une implosion catastrophique, au lieu du progrès espéré, voire escompté.

Un des paradoxes auxquels nous sommes confrontés est qu’au moment même où il conviendrait de concevoir une organisation adaptée aux défis spécifiques de la première moitié du 21ème siècle, les problèmes posés par le comportement de nombreux gouvernements et de plusieurs organisations délinquantes puissantes font obstacle au type de réformes qu’il conviendrait d’entreprendre.

Les peuples peuvent avoir intérêt à se mettre d’accord sur une nouvelle gouvernance internationale, mais les conditions pour un accord entre leurs gouvernements respectifs sont très loin d’être réunies.

Notre grand défi en tant que sociétés civiles est donc de créer ces conditions sans attendre, comme le dit fort bien Robert Simon, d’être dans une situation de désastre absolu susceptible de faire revenir la sagesse. Les Etats, par nature, ne sont pas enclins à subordonner leurs prérogatives à une instance qui les limite ou les canalise. A plus forte raison quand ils se sentent puissants. Et les poussées puériles isolationnistes – voire xénophobes – qui croissent dans les populations de nombreuses « démocraties » ne sont pas de nature à les mettre sur la voie de la raison au nom des intérêts supérieurs des peuples et de la nature dont dépend la vie de ces peuples (et dont ils font partie intégrante). N’oublions pas ce qu’il a fallu comme intensité dramatique pour faire naître l’ONU : 5 ans de guerre mondiale, 50 millions de morts, la shoah, des destructions immenses sur presque tous les continents, Hiroshima et Nagasaki… excusez du peu ! On pourrait penser que, dans un monde où le sort des individus où qu’ils vivent n’a cessé d’être de plus en plus lié au cours des 50 dernières années du fait de la croissance démographique, des technologies qui font partie de notre quotidien et des limites de l’environnement, certains défis majeurs tels le changement climatique dont les prémices sont désormais perceptibles, l’épuisement de nombreuses ressources naturelles, la survenue de pandémies (annoncées on ne peut plus clairement en 2018 à la COP 24 à Katowice en Pologne sans que l’on prenne action), les conflits armés, les nouveaux dangers créés par la soit disant intelligence artificielle, etc. qui démontrent à l’envi qu’il n’y a point de salut hors d’un multilatéralisme rénové, suffiraient pour amener à la raison tous les dirigeants, même les moins démocratiques… eh bien, non ! Etonnant, car cela défie la raison, mais non ! Non, non et non !!! Voyez quel jeu délétère beaucoup jouent, et dans quelles erreurs grossières (qu’ils amplifient d’année en année) nous poussent même les représentants de plusieurs pays dits démocratiques dont la plupart des Etats membres de l’Union Européenne qui finit de ce fait par devenir fossoyeuse de son propre projet…

Alors, oui, le Sommet de l’Avenir de septembre 2024 est bienvenu dans ce contexte. Mais que l’on ne se trompe pas. Quand on parle d’ONU on devrait spécifier de quoi l’on parle. Il y a une distinction à faire entre la structure politico-administrative (que j’appellerai l’ONU F) faite des fonctionnaires de l’institution (qui doivent d’ailleurs tou.te.s prêter serment de non allégeance à leur pays d’origine) et la structure politiquement décisionnelle (que j’appellerai l’ONU G) constituée par les gouvernements – qui pèsent chacun de façon très différente selon l’instance onusienne dans laquelle ils siègent ce jour là.

Combien de fois les constituants de l’ONU F sont dépités par ce sur quoi débouche l’ONU G ! Et c’est bien ce qui fait que l’ONU F organise depuis longtemps systématiquement un forum parallèle de la société civile à l’occasion de grands évènements de l’ONU G – bien entendu, avec l’accord tacite de cette dernière.

N’oublions pas que le sommet de Septembre sera en fait la cérémonie de clôture d’une négociationqui est en cours pour mettre 194 gouvernements d’accord sur un « pacte pour l’avenir » censé assurer « un avenir épanouissant » aux 2 milliards de jeunes de moins de 14 ans qui sont actuellement sous notre tutelle. Tout se joue d’ici là. Or, les Etats qui le négocient se font sauvagement concurrence sur le plan économique, sont en compétition féroce pour les brevets des nouvelles technologies, s’opposent dans des conflits armés où ceux qui ne se combattent pas directement alimentent en armes ceux qui meurent de part et d’autre sur les champs de bataille, sont en pleines tractations pour construire front contre front une série de nouvelles alliances qui se substituent aux quelques unes héritées des lendemains de la deuxième guerre mondiale, et sont engagés dans une compétition technologique qui met en question les fondements de ce qu’ont été les références de l’Etat de Droit au niveau planétaire depuis 1945. On rêverait de mieux pour trouver un accord sur un modus operandi entre Etats.

Un des grands résultats attendus du Sommet sur l’Avenir pensé par l’ONU F est de remettre sur une trajectoire correcte l’agenda 2030 (les 17 objectifs de développement durable adoptés par l’ONU G en 2015 dans la foulée du succès relatif des objectifs du millénaire pour le développement) qui ont déraillé sans grande surprise peu après leur lancement, sous les coups de boutoir du chacun pour soi dans trop de domaines à commencer par celui de l’économie où la concurrence a été érigée au rang de théologie, mettant en pièces la notion de « famille humaine » pourtant inscrite dans le préambule de la Déclaration Universelle des Droits de la Personne Humaine et son article 1 qui spécifie que nous devons tou(te)s agir les un(e)s envers les autres « dans un esprit de fraternité » (le mot fraternité venant de « frater » c'est-à-dire « genre humain » comme le rappelle sans cesse à juste titre l’ami Patrick Viveret).

Nous verrons d’ici quelques mois ce qu’il restera des propositions de réforme de l’ONU esquissées avec prudence dans les actuels paragraphes 116 à 130 du brouillon de pacte soumis aux Etats par le tandem des représentant(e)s permanent(e)s de l’Allemagne et de la Namibie qui coordonnent l’initiative du Sommet de l’Avenir. Ce n’est pas un hasard si les co-facilitateurs ont indiqué qu’ils ne seront pas en mesure avant juin de proposer un premier jet de texte sur une possible réforme du Conseil de Sécurité. Qui peut raisonnablement penser que des gouvernements qui raisonnent encore en termes de puissance puissent se mettre d’accord avant d’avoir mis fin à la guerre en Ukraine ou à ce qui se passe à Gaza, au Soudan ou en Birmanie sur un projet qui fasse sens et soit bon pour les peuples des nations désormais aussi désunies que ce que nous avons laissé faire ?

Si nous voulons à juste titre mettre les nations du monde sur la voie de l’unité et de la résolution pacifique des conflits, donc à construire l’ONU G dont le monde a besoin au 21ème siècle, ne devrions nous pas réfléchir d’urgence aux transformations qu’il convient de réaliser au sein même de nos institutions et de nos règles de vie en société afin de créer les conditions pour qu’advienne le type de gouvernance mondiale qui nous parait raisonnable mais est en fait trop souvent aux antipodes de nos pratiques pour avoir une chance de voir le jour ?

La première « réforme » à faire n’est-t-elle pas d’amener nos Etats à se conformer aux résolutions qu’ils votent à l’Assemblée Générale de l’ONU plutôt que de les dévaloriser par la suite en ne faisant pas ce à quoi ils ont souscrit ? Quelle crédibilité aurons-nous à proposer des réformes que l’on s’empressera, si jamais elles venaient à être adoptées, de contourner par de multiples moyens ?

Si le « pacte pour l’avenir » vise en premier lieu à relancer l’Agenda 2030, la France va-t-elle y souscrire sans pour autant finir enfin par respecter la résolution de l’Assemblée Générale de l’ONU qu’elle a voté en 1970 selon laquelle elle devait consacrer chaque année à partir de 1975 l’équivalent de 0,7% de son PIB en aide publique au développement des pays en difficulté (chiffre qu’elle n’a jamais atteint et dont elle est encore loin aujourd’hui) et 1% à partir de 1980 ?

Quelle crédibilité aura-t-elle à proposer des réformes de l’ONU tout en n’augmentant pas ses contributions volontaires aux agences à travers lesquelles l’ONU « réalise chaque jour de grandes choses » ? Va-t-elle continuer à contempler leur déclin progressif par manque de moyens alors que dans le même temps, elle augmente ses dépenses militaires y compris en temps d’austérité budgétaire ?

Comment la France peut-elle proposer d’accroître les pouvoirs de l‘Assemblée Générale et du Secrétaire Général de l’ONU sur des questions délicates si elle ne prend même pas sur son propre territoire des mesures fortes pour promouvoir le développement de l’économie sociale et solidaire alors qu’elle a apporté un soutien décisif à l’adoption l’an dernier d’une résolution de l’Assemblée Générale à ce sujet ?

Comment la France – qui pourtant n’utilise quasi jamais son droit de veto au Conseil de Sécurité contrairement aux USA, à la Russie ou à la Chine - peut-elle proposer de réformer les instances régissant la sécurité internationale si elle ne renonce pas à son arme nucléaire (dont la simple possession « dissuasive » est pourtant en contradiction totale avec les principes de Nuremberg qui codifient ce qu’est un crime contre l’humanité) ; si elle reste parmi les championnes du commerce des armes ; si elle ne cherche pas la dissolution de l’OTAN ; si elle n’œuvre pas pour faire advenir une sécurité mondiale entièrement basée sur la légitimité de l’ONU (donc y compris ses casques bleus) ?

Quelles que soient les réformes à faire, elles devront faire l’objet d’un consensus entre TOUS les Etats. Une ONU G des pays moralement les plus avancés n’a aucun sens. C’est pourquoi nous ne pouvons pas faire l’économie d’interpeller nos parlementaires et gouvernants dans un dialogue aussi constructif que possible. La structure actuelle de l’ONU reflète la réalité d’une fin de conflit où il y avait des vainqueurs et des vaincus et les rapports de force existants à cette époque au plan mondial. Certains gênes de l’ONU G sont donc gênants. Mais la structure a au moins le mérite que quelles que soient l’ampleur et l’intensité des conflits, cela reste une agora où l’on se parle. C’est en soi un bien infiniment précieux à préserver à tout prix !

Un point important si nous voulons progresser vers des réformes adéquates de la gouvernance internationale à l’ère de l’interdépendance dans laquelle nous sommes désormais entré(e)s est de changer nos paramètres de mesure du progrès. C’est ce à quoi nous invitent les paragraphes 134 et 135 du brouillon de pacte pour l’avenir. Mais c’est une proposition illusoire au niveau international si elle ne passe pas dans les mœurs à l’intérieur même de chaque pays. Il nous faut donc en faire l’objet d’un très grand chantier démocratique sur tout le territoire (comme avait commencé à le faire en Pays de la Loire notre amie Hélène Combe avec Celina Whitaker, suivant le travail pionnier au niveau national de Patrick Viveret mandaté par le gouvernement de Lionel Jospin) ! Le PNUD avait ouvert la voie à ce sujet en proposant dès 1990 l’Indice de Développement Humain (IDH) à substituer au PIB, puis par la suite une batterie d’indicateurs reflétant le bien vivre pour tou(te)s au lieu du « beaucoup avoir » qui peut être accaparé par quelques uns. Ce changement de référence est contenu en germe dans l’Agenda 2030 et ses 17 objectifs flanqués chacun de plusieurs indicateurs de succès, qui promet (parole de gouvernements) que « personne ne sera laissé sur le bord de la route ». C’est un chantier qu’il est essentiel d’ouvrir et d’enraciner culturellement pour reporter l’attention de nos sociétés sur le « prendre soin de chaque humain » qui sous-tend la dynamique de nos Dialogues en humanité.

Jean Fabre